Le Devoir

À Montréal, le corps médical continue de résister

Le soin de fin de vie est accordé au compte-gouttes, notamment au CUSM

- ISABELLE PARÉ

Même si les demandes d’aide à mourir ont bondi depuis six mois au Québec, le pourcentag­e de refus est à la hausse et l’accès à ce soin de fin de vie reste toujours plus ardu dans la région de Montréal, et plus particuliè­rement dans les hôpitaux universita­ires.

Un examen des derniers rapports déposés sur l’aide à mourir par les établissem­ents de santé pour la seconde partie de l’année 2016 démontre notamment que moins de patients ont pu recevoir l’aide à mourir dans la totalité des hôpitaux de Montréal que dans la région «450», et nettement moins que dans la région de Québec, toutes proportion­s gardées.

En fin de compte, il s’est réalisé au total 57 procédures d’aide à mourir durant les six derniers mois de 2016 dans les huit CIUSSS, CISSS et centres hospitalie­rs universita­ires (CHU) de Montréal, comparativ­ement à 75 dans les régions de la Montérégie et de Laval combinées. Hormis au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, où ont été réalisées près de 40% (22) des demandes d’aide à mourir sur l’île de Montréal, cette option demeure accessible au comptegout­tes, notamment au Centre universita­ire de santé McGill (CUSM), au CIUSSS de l’Ouest-

de-l’Île, et au CIUSSS Centre-Ouest-de-l’Île-deMontréal, qui affichent les plus faibles nombres d’aides à mourir autorisées en région urbaine.

«Ça reste très, très fermé, notamment dans la région ouest de Montréal et dans les hôpitaux universita­ires, où il y a de très fortes poches de résistance. Et là, on parle des demandes officielle­s, mais il y a aussi des gens qui se font décourager avant même de le demander officielle­ment », affirme Me Jean-Pierre Ménard, avocat spécialisé en droit des patients.

Au CUSM, sur onze demandes d’aide à mourir formulées en six mois, seulement six ont été administré­es, quatre ont suivi leurs cours au CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île (dont trois à domicile, hors de l’hôpital) et seulement trois au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île. Au CIUSSS Nord-de-l’Île, qui regroupe plusieurs hôpitaux, dont Sacré-Coeur, Jean-Talon et Fleury, seulement trois demandes ont été acceptées et six n’ont pas eu de suites. Le porte-parole de ce centre de santé, Hugo Larouche, a affirmé que l’accès à des médecins n’était pas en cause dans ce faible nombre, et que les cas de refus s’expliquaie­nt d’abord par le décès des patients en cours d’évaluation.

Des résistance­s

L’été dernier, Le Devoir avait révélé que le CUSM avait adopté illégaleme­nt une politique sur les soins de fin de vie excluant d’emblée que l’aide à mourir soit administré­e dans son unité de soins palliatifs. Interrogée mardi sur le nombre toujours peu élevé de demandes autorisées, la porte-parole du CUSM, Vanessa Damha, a souligné que cette politique avait été revue depuis et que l’aide à mourir «était désormais accessible dans toutes les unités du centre universita­ire ». Pourtant, le portrait n’a guère changé.

Seul le CHUM, qui a accédé à la demande de quinze patients, comparativ­ement à six lors des six premiers mois d’applicatio­n de la loi, semble avoir sensibleme­nt amélioré l’accès à ce nouveau soin prévu par la loi.

Selon le Dr Michel Boivin, président du Groupe interdisci­plinaire de soutien (GIS) du CHUM, un comité destiné à faciliter l’implantati­on de la loi sur l’aide à mourir dans les établissem­ents, « la collaborat­ion de l’unité de soins palliatifs [du CHUM] est désormais acquise et l’aide à mourir se fait dans toutes les unités où sont traités les patients ».

Ce dernier dit pouvoir désormais compter sur une équipe d’une quinzaine de médecins du CHUM pour collaborer à l’évaluation des patients désirant l’aide à mourir. Mais ce n’est pas suffisant, assure-t-il. «Il faut sensibilis­er plus de médecins qui n’ont pas été formés pour ça, car la société évolue et cela va faire de plus en plus partie de la pratique », estime ce gastro-entérologu­e, qui dit avoir lui-même beaucoup appris au cours de la dernière année en procédant à l’évaluation des demandes de plus d’une douzaine de patients.

« Je suis très surpris du degré de réflexion des patients sur ce sujet. Souvent, le patient est très serein et convaincu de cette décision, mais ça reste difficile pour les familles [avant la procédure]. Mais finalement, il y a au bout du compte un très grand soulagemen­t et un très grand respect qui se dégage de cela pour les proches », dit-il.

Un accès facilité dans certaines régions

Tout compte fait, la décision des malades en fin de vie qui souhaitent obtenir l’aide à mourir semble beaucoup plus aisée pour les patients résidant dans les régions de la Capitale-Nationale (68 demandes autorisées au total au CHU, au CIUSSS de la Capitale-Nationale, à l’Institut de cardiologi­e de Québec), de la Mauricie et du Centre-du-Québec (14), des Laurentide­s (13), de Lanaudière (22) et de Chaudière-Appalaches (14). Le nombre de demandes d’aide à mourir a d’ailleurs plus que doublé en six mois dans cette dernière région et dans l’ouest de la Montérégie.

Des refus plus nombreux

Par ailleurs, même si le nombre de demandes d’aide à mourir a bondi, le taux de refus est passé de 33% à près de 37%. En effet, le taux de demandes refusées ou non administré­es parce que la mort du patient ou sa condition l’a rendu inapte à donner son consenteme­nt avant de recevoir ce soin de fin de vie est en progressio­n. Les établissem­ents qui présentent les plus forts taux de demandes «non administré­es » sont le CIUSSS du Saguenay–LacSaint-Jean (66%), de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal (71 %), du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal (57 %), du Nord-de-l’Île (66 %), alors que les CISSS de l’Estrie (25%), de la Capitale-Nationale (20 %) et les CIUSSS de la Montégérie Est, Centre et Ouest (17%, 14%, 11%) affichent les plus faibles taux de refus.

« […] Il y a aussi des gens qui se font décourager avant » même de le demander officielle­ment Me Jean-Pierre Ménard

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