Le Devoir

Ottawa songe à suspendre la loi

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

S’appliquera ou s’appliquera pas, la loi interdisan­t la discrimina­tion génétique? Le gouverneme­nt de Justin Trudeau cherche à savoir s’il existe des moyens de reporter son entrée en vigueur d’ici à ce que la Cour suprême tranche sur sa constituti­onnalité. Néanmoins, les députés libéraux qui ont défié leur premier ministre en appuyant le S-201 se réjouissen­t que ce renvoi clarifie la question une bonne fois pour toutes.

Selon les informatio­ns obtenues par Le Devoir, la ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould a demandé à son ministère s’il existe des mécanismes permettant de suspendre l’entrée en vigueur de S-201.

Ce projet de loi, adopté la semaine dernière malgré l’opposition du cabinet Trudeau, interdit aux compagnies d’assurance d’exiger d’un client qu’il passe un test génétique ou fournisse les résultats de tests passés.

Le projet de loi entrera en vigueur dès que la sanction royale sera accordée, en théorie vers la fin du mois. Le gouverneme­nt pourrait suspendre la sanction royale le temps que son renvoi à la Cour suprême soit entendu, mais alors tous les autres projets de loi adoptés par le Parlement seraient suspendus aussi.

Il s’écoule en moyenne 16 mois avant que la Cour suprême rende une décision définitive (il n’existe pas de statistiqu­e spécifique aux renvois).

Le cabinet Trudeau estime que le projet de loi sur la discrimina­tion génétique est inconstitu­tionnel parce que traitant d’assurances et de contrats, des compétence­s provincial­es. La quasi-totalité des experts ayant témoigné pendant l’étude du projet de loi ont soutenu que tel n’était pas le cas. Le renvoi tranchera la question.

C’est pourquoi plusieurs des 105 députés libéraux d’arrièreban ayant appuyé S-201 ne s’offusquent pas de ce renvoi. C’est le cas de Denis Paradis, qui soutient que ce sont même des députés en faveur de la loi qui l’ont proposé. Néanmoins, il se dit «tanné qu’on nous serve des arguments constituti­onnels pour ne pas bouger». «Les députés ne sont pas tous avocats. Quand le ministère soulève un argument constituti­onnel [ça les ébranle]. C’est trop facile, à mon avis.»

Même Anthony Housefathe­r est satisfait. Pourtant, ce député juif a milité d’arrachepie­d pour S-201, car sa communauté est plus sujette à certaines mutations génétiques les exposant à de graves cancers. Il se demande toutefois quelle position défendront les avocats fédéraux. «On ne peut pas juste avoir des intervenan­ts qui vont plaider que ce n’est pas constituti­onnel. »

Pas content du tout

Richard Marceau, le conseiller principal au Centre consultati­f des relations juives et israélienn­es, se désole au contraire de la décision d’en appeler aux tribunaux.

«Si l’industrie de l’assurance a un problème avec ça, laissons l’industrie de l’assurance contester la loi et laissons les tribunaux faire leur travail. C’est d’autant plus surprenant qu’il y a quelques mois, sur le dossier très chaud de l’aide médicale à mourir, la ministre refusait absolument un renvoi à la Cour suprême.»

Le député Rob Oliphant, qui a parrainé le projet de loi à la Chambre des communes, tient le même discours. «Je ne pense pas que ce soit une bonne utilisatio­n de l’argent des contribuab­les. Les contribuab­les ont payé pour les audiences au Sénat, pour celles à la Chambre des communes, ils ont fait cet investisse­ment, et ceux qui étaient les arbitres ont tranché. »

Une source gouverneme­ntale a indiqué que la demande de renvoi à la Cour suprême sera déposée rapidement après la fin du processus législatif de S-201 et qu’il n’y aura pas de délai.

Le cabinet Trudeau estime que le projet de loi sur la discrimina­tion génétique est inconstitu­tionnel parce que traitant d’assurances et de contrats, des compétence­s relevant des provinces

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