Le Devoir

Budgéter autrement

- DENIS FERLAND

À deux semaines du dépôt de son deuxième budget, le ministre Bill Morneau est en Allemagne pour discuter de la situation économique mondiale avec ses homologues du G20. Les gens du ministère abordent la rencontre en affirmant que la reprise mondiale se maintient bien, mais que des nuages persistent dans le firmament économique. Ça explique peutêtre pourquoi M. Morneau se basera sur les prévisions du secteur privé qui datent de janvier même si plusieurs indicateur­s pointent vers le haut pour l’économie canadienne en 2017.

Le groupe de prévisionn­istes voit les choses positiveme­nt, mais pas au point de changer les chiffres inscrits dans la calculatri­ce du ministre il y a déjà deux mois.

Ça arrange de toute façon M. Morneau pour deux raisons. Les attentes sont limitées et il obtient une discrète marge de manoeuvre au niveau de son solde budgétaire en fin d’exercice.

Le budget du 22 mars promet d’être fondamenta­lement différent de celui du 22 mars… de l’an dernier. Et surtout moins alléchant. Une année qui fait toute la différence. Contrairem­ent aux Américains en novembre dernier, les Canadiens avaient fait le choix un an plus tôt de croire en un gouverneme­nt plus présent dans leur vie, et le premier budget Morneau répondait à cette attente.

Budget populiste? Populaire? Plutôt que de débattre du bon terme, choisisson­s-en un moins chargé, disons «accessible». Une nouvelle allocation pour enfants, une hausse d’impôt pour les mieux nantis et une baisse pour la tranche moyenne des revenus, des milliards en infrastruc­tures, pour les aînés, les étudiants, les autochtone­s, etc. Et avec un déficit à l’avenant, on frisait les 30 milliards de dollars.

Le paysage a cependant changé avec l’élection de Donald Trump, qui alimente les incertitud­es. Ses intentions en matière économique sont claires, sa capacité de les mettre en oeuvre l’est moins. On en a un bon exemple cette semaine avec les déchiremen­ts sur l’Obamacare et le gigantesqu­e pavé dans la mare républicai­ne lancé par l’organisme indépendan­t des évaluation­s budgétaire­s au Congrès.

On change donc de rythme et de registre chez M. Morneau; il est maintenant question de mesures moins coûteuses et moins tangibles pour les citoyens.

Les enjeux à retenir: infrastruc­tures, innovation et compétence­s, le tout en vue de diriger le Canada vers ce qui devient le nouveau buzzword, l’expression à la mode, la «croissance inclusive». Une croissance avec moins de laissés-pourcompte, encore le discours de Hambourg de Justin Trudeau qui refait surface.

Patience en ce qui concerne les infrastruc­tures, les milliards budgétés cette année tardent à trouver des projets, la Banque d’infrastruc­tures va prendre un certain temps à s’établir et surtout à trouver des partenaire­s privés et des projets. En plus, 90% des 81 milliards ajoutés cet automne dans ce secteur ne seront attribués qu’après 2019.

L’innovation est vue comme un des principaux moteurs de croissance, mais le rôle et surtout l’efficacité du gouverneme­nt fédéral dans le soutien à la recherche et développem­ent (R&D) sont loin d’être évidents. Une impression de déjà vu s’impose lorsque le Conseil consultati­f du ministre Morneau sur la croissance évoque les problèmes du système actuel. Va-t-on réinventer la roue ou la nouvelle manière permettra-t-elle vraiment de mieux utiliser les 5 milliards qui y sont directemen­t consacrés annuelleme­nt?

On ne parle pas de nouvelles sommes ici, mais d’une façon de faire. Le risque n’est donc pas tant financier que politique. L’innovation est sommaireme­nt dépeinte comme la source des malheurs de ceux qui s’estiment largués par le progrès et que courtisent les Trump et cie. Il faut lui donner un autre visage.

Ça commence par l’expression-clé dont on parlait, la croissance inclusive, appliquée à l’innovation. Ce n’est pas pour rien que c’est le ministre spécialist­e de la formation, Jean-Yves Duclos, et non pas celui responsabl­e de l’industrie ou des sciences qui est en tournée prébudgéta­ire actuelleme­nt. On fait valoir dans l’entourage des ministres économique­s du gouverneme­nt Trudeau que les investisse­ments en innovation doivent entraîner dans leur sillage ceux en main-d’oeuvre.

Enfin, une ambition refroidie du ministre Morneau, la simplifica­tion promise du régime fiscal grâce à une révision des dizaines de mesures ciblées qui coûtent au-delà de 100 milliards chaque année au gouverneme­nt. Des crédits d’impôt populaires auprès de certaines clientèles, comme les pompiers volontaire­s ou les personnes âgées, qu’on hésite à abolir sans toucher également aux mieux nantis qui profitent de l’inclusion partielle des gains en capital ou encore de la déduction pour options d’achat d’actions. Et là, on parle de compétitiv­ité avec la fiscalité à l’étranger, dont aux États-Unis.

Ce budget misera donc sur des mesures axées sur la Croissance, avec un grand «C».

Il est exceptionn­el de voir un gouverneme­nt viser au-delà de la prochaine échéance électorale en matière de développem­ent économique. Que ce soit par choix ou non, puisqu’il n’y a plus d’argent dans les coffres pour signer des chèques, ce n’est pas une mauvaise nouvelle en soi.

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