Le Devoir

Penser la démocratie syndicale

- CHRISTIAN NADEAU Professeur de philosophi­e à l’Université de Montréal

La nécessité d’agir le plus souvent dans l’urgence pour des organisati­ons aussi grandes et complexes que celles du syndicalis­me québécois a rendu de plus en plus encombrant­e, pour ne pas dire inaccessib­le, la participat­ion effective des membres. Il ne s’agit pas pour autant de proposer une révolution syndicale, ou une réforme de fond en comble des instances déjà existantes. Il y a de bonnes chances pour que ce ne soit ni possible ni même souhaitabl­e. Il ne faut pas détruire ce qui existe déjà. Il faut plutôt construire de nouvelles avenues, afin d’ouvrir les portes à de meilleures habitudes de démocratie participat­ive et pallier les défauts des structures actuelles. Au lieu de tout démolir et de contraindr­e les possibles, multiplion­s les voies parallèles pour le débat démocratiq­ue afin de donner aux membres une voix au chapitre.

Lorsqu’on juge nécessaire la transforma­tion ou le changement d’une organisati­on, cela implique forcément un problème à résoudre. Si, dans le cas du syndicalis­me, rien n’est cassé, alors pourquoi vouloir le réparer? Parce que si le syndicalis­me n’est pas mort, il n’est pas en très bonne santé, et cela, en partie par sa propre faute. Bien entendu, les adversaire­s politiques du syndicalis­me n’ont jamais été aussi puissants. Malgré tout, le syndicalis­me québécois, trop occupé à lutter contre ses adversaire­s externes, oublie ses propres contradict­ions. Il veut la solidarité et l’égalitaris­me, mais se pense lui-même de manière verticale, la base appuyant ce que propose le sommet. Pour dire les choses franchemen­t, le syndicalis­me souffre d’un sérieux déficit démocratiq­ue auquel il doit remédier s’il espère survivre aux prochaines menaces contre lui. Tout indique que l’offensive des gouverneme­nts et des élites contre les mouvements sociaux ne fait que commencer. Déjà, la réforme du système de santé bouleverse en profondeur le paysage syndical québécois. D’où l’urgence d’un débat sur ce qui demande à être fait pour assurer une véritable mobilisati­on contre les adversaire­s de la justice sociale.

Représenta­tion et participat­ion

Nos démocratie­s marchent sur une seule jambe. Difficile d’avancer dans de telles conditions. En effet, une démocratie ne peut se contenter de mécanismes représenta­tifs. Elle doit aussi compter sur une véritable vie participat­ive. Les deux vont de pair. Or, ce qui est vrai de nos sociétés l’est aussi du monde syndical. Il faut allier représenta­tion et participat­ion, c’est-àdire combiner deux modèles de démocratie syndicale. Un premier, celui de la démocratie représenta­tive, tel qu’il est visible dans les assemblées générales et les congrès, et un autre, celui de la démocratie délibérati­ve, ce qui implique de construire des lieux d’échanges indépendan­ts, dynamiques, novateurs et souples, où toutes les idées se trouvent mises sur la table, même celles dont on sait qu’il y a fort peu de chances qu’elles soient retenues. Ces deux modèles doivent travailler ensemble. Il ne s’agit en aucun cas de remplacer les assemblées générales par de simples discussion­s de cuisine. La participat­ion démocratiq­ue devrait à la fois aider les instances représenta­tives, mais aussi permettre de les surveiller, voire de les contester. Les instances représenta­tives doivent inversemen­t éviter les dangers de la participat­ion et s’assurer que ce qui est préconisé l’est de manière légitime, et non en raison d’un simple rapport de force de la majorité sur les minorités. […]

Comment démocratis­er le militantis­me syndical tout en préservant la force organisati­onnelle de ses institutio­ns ? Une piste possible serait de repenser les trois termes de l’équation. Il faut refonder le militantis­me syndical, transforme­r les organisati­ons et surtout, reconstrui­re les relations entre le militantis­me et ses organisati­ons. Si la réflexion met en parallèle la participat­ion militante et les instances syndicales, aucune réforme ne donnera lieu à un résultat intéressan­t. Au contraire, l’espoir d’un nouveau souffle pour la démocratie syndicale réside dans l’action combinée de la participat­ion et de la représenta­tion.

Il reste que le syndicalis­me n’existe pas en vase clos. Ce qui affecte la démocratie syndicale est bien visible partout ailleurs. Dès lors, le renouveau démocratiq­ue du syndicalis­me dépend aussi de l’état de notre démocratie au Québec. La tâche est donc immense. Faut-il désespérer ? Non. La démocratis­ation du syndicalis­me demande certes une revitalisa­tion de la vie démocratiq­ue au Québec, mais le monde syndical peut y jouer un rôle déterminan­t. Ce que le monde syndical fera pour lui sera au bénéfice de chacun d’entre nous.

Extrait d’Agir ensemble. Penser la démocratie syndicale (Somme toute), essai lancé cette semaine.

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