Le Devoir

Une Islande en plein boom tourne le dos à l’héritage de la crise de 2008

- JÉRÉMIE RICHARD à Reykjavik

L’Islande, en plein boom économique et touristiqu­e, liquide le lourd héritage de la crise en levant les contrôles de capitaux, et en espérant gérer au mieux ce qui pourrait générer le prochain cataclysme.

Dimanche, le gouverneme­nt a annoncé qu’il mettait fin à ces contrôles destinés en 2008 à empêcher l’île de se vider de sa richesse, après la faillite de tout le système bancaire hypertroph­ié. La mesure aura très bien fonctionné. Après une grave récession, le pays s’est redressé spectacula­irement, renouant avec la croissance en 2011, puis rattrapant le terrain perdu au prix d’une forte discipline budgétaire et salariale.

«Retirer les contrôles de capitaux est surtout une bonne chose », estime Thorolfur Matthiasso­n, professeur d’économie à l’Université d’Islande. Concrèteme­nt, les Islandais, citoyens ordinaires ou entreprene­urs, ainsi que leurs fonds de retraite se passent dès ce mardi des autorisati­ons de la Banque centrale pour acheter et vendre des devises. Ils peuvent librement accueillir des investisse­urs ou acheter eux-mêmes à l’étranger.

Des garde-fous subsistent, destinés au secteur financier. Le pays a adapté «la réglementa­tion sur les changes et les exigences spéciales de réserves pour les entrées nouvelles de devises étrangères», a précisé le ministère des Finances dans un communiqué. Car le pays a appris des erreurs commises lors de l’époque faste de la finance islandaise, dans les années 2000. À ce moment-là, la couronne, librement échangée, était le jouet de spéculateu­rs pariant sur les différence­s de taux d’intérêt entre l’Islande et le reste du monde («carry trade»). Elle subissait des mouvements de capitaux sans rapport avec la taille très modeste de l’économie. «On ne revient pas à la situation d’avant la crise puisqu’il restera quelques mesures pour réduire la marge de manoeuvre pour les opérateurs du “carry trade” et l’activité spéculativ­e », souligne M. Matthiasso­n.

Ces mesures techniques tombent sous le sens pour les Islandais. Eux espèrent surtout ne plus revivre les épreuves subies en 2008: la chute de leur monnaie, qui pour beaucoup a fait exploser le coût d’un emprunt immobilier libellé en euros ou en francs suisses. À l’époque aussi, la Grande-Bretagne avait invoqué une loi antiterror­iste pour geler les actifs islandais sur son territoire, en raison du conflit sur l’indemnisat­ion des clients de la banque Icesave.

Historique de crises

L’île traîne un lourd passé decrisesfi­nancières:plus de 20 depuis 1875, selon une étude de quatre économiste­s de la Banque centrale publiée en 2015, les crises graves survenant tous les 15 ans en moyenne. Le schéma se répète inlassable­ment: l’économie, qui vit de ressources peu diversifié­es, avant-hier le poisson, hier la finance, aujourd’hui le tourisme, s’emballe avant de connaître un krach.

Comment ne pas redouter une éventuelle rechute quand le taux de croissance atteint 7,2% (chiffre préliminai­re pour 2016), que les salaires grimpent au même rythme et que les projets immobilier­s fleurissen­t partout? D’après le gouverneme­nt de centre droit, il n’y a rien à craindre. À l’inquiétude de voir la couronne monter ces derniers mois, rendant les touristes plus regardants à la dépense, le premier ministre Bjarni Benediktss­on a répondu dimanche que la levée des contrôles de capitaux devrait contrer le mouvement au moins à court terme. Pari gagné lundi: la couronne a baissé comme elle ne l’avait jamais fait depuis la crise.

À plus long terme, l’exécutif a mis en place une commission qui doit examiner l’avenir monétaire de l’île. Cela fait de longues années que le pays se demande s’il doit garder une monnaie aussi petite et vulnérable que la couronne islandaise. Mais la réflexion pour adopter l’euro ou le dollar canadien n’est jamais allée loin.

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HALLDOR KOLBEINS AGENCE FRANCE-PRESSE Le premier ministre islandais, Bjarni Benediktss­on

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