Six ans de guerre en quatre questions
Le 15 mars 2011, en plein Printemps arabe, des Syriens prennent la rue pour crier leur opposition à la dictature de Bachar al-Assad. Rapidement, l’appel à «une Syrie sans tyrannie» vire au conflit ouvert avec le régime de Damas. Six ans et 465 000 morts et disparus plus tard, la guerre se poursuit, sans issue en vue… Le point sur la situation avec Marie-Joëlle Zahar, professeure de science politique affiliée au CERIUM.
Comment les rapports de force entre les principaux groupes — régime, rebelles, kurdes, groupe armé État islamique — ont-ils changé au cours des derniers mois?
Les derniers mois ont vu beaucoup de changements dans les rapports de force sur le terrain. La chute d’Alep, précipitée notamment par l’alliance entre le régime syrien et la Russie, a affaibli les groupes d’opposition armés. Elle a également préparé la voie aux négociations d’Astana sur le cessez-le-feu auxquelles plusieurs groupes d’opposition ont refusé de participer.
Mais comme chaque action entraîne une réaction, le risque de marginalisation politique des groupes d’opposition armés a coïncidé avec la recrudescence d’attaques contre ces mêmes groupes par les djihadistes du Jabhat Fateh al-Sham (anciennement le Front alNusra), qui a cherché à profiter de leur affaiblissement pour gagner du terrain. Cela a incité au regroupement de plusieurs factions armées au sein d’une nouvelle alliance : Tahrir al-Cham.
Pour leur part, inquiets de l’engagement croissant de la Turquie sur le terrain, certains groupes kurdes se sont récemment alliés ouvertement au régime syrien. Quant à lui, le groupe EI subit maintenant un assaut dans son fief de Raqqa, alors même qu’il essuie des revers en Irak.
Qui a le haut du pavé?
Il est difficile de choisir un acteur qui aurait le haut du pavé. Même l’armée syrienne, qui a aujourd’hui le vent en poupe et qui vient de reprendre la ville d’Alep, n’aurait pu le faire sans l’appui des Russes. Il faut donc tenir compte des alliances des uns et des autres pour jauger de leur force ou de leur faiblesse relative.
C’est seulement à ce titre que l’on pourrait affirmer qu’avec l’appui indéfectible de la Russie, le régime syrien est aujourd’hui en meilleure position qu’il ne l’était à la même période l’année dernière, alors que l’arrivée au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis remet en cause les liens établis entre les Américains et l’opposition syrienne.
Il y a les négociations à Genève sous l’égide de l’ONU, puis
celles à Astana sous le parrainage de la Russie, de la Turquie et de l’Iran. Quelle est la différence? L’un prend-il le pas sur l’autre ?
Sans vouloir faire un jeu de mots, il faut réfléchir à ces différentes négociations comme à des poupées russes qui s’emboîtent les unes dans les autres.
À Astana, la Russie, la Turquie et l’Iran, trois acteurs directement impliqués et influents sur le terrain, usent de leur influence pour stabiliser la situation militaire et imposer un cessez-le-feu qui est la condition sine qua non à tout dialogue entre les différentes parties. Le fait que les groupes d’opposition armés aient annoncé lundi leur décision de ne pas participer à la plus récente ronde de négociations à Astana — les 14 et 15 mars — pour cause de nonrespect des termes d’un cessez-le-feu local dans la région de l’est de Ghouta, souligne bien la difficulté et la fragilité de ces négociations.
À Genève, les Nations unies, profitant des accalmies durement négociées à Astana, ont entrepris une quatrième ronde de négociations, laquelle porte sur les arrangements transitionnels qui devraient être mis en place advenant un accord de cessation des hostilités. Ces négociations portaient initialement sur trois «paniers» thématiques: la gouvernance, la Constitution, et les élections. À l’insistance du régime et après maintes tergiversations, un quatrième panier a été ajouté. Il porte sur la gouvernance dans le domaine de la sécurité—comprendre:contre terrorisme et réforme des institutions sécuritaires.
Genève essaie donc de profiter des acquis d’Astana pour inciter les parties à discuter des questions politiques dans un climat sécuritaire plus apaisé. Mais l’édifice demeure fragile.
Les négociations avancent-elles néanmoins? Peut-on dire que nous sommes aujourd’hui plus près d’une issue au conflit?
C’est la question la plus importante et la plus difficile. La guerre a déjà duré six ans. Son coût humain et matériel est déjà très lourd. Mais les avancées des négociations sont timides et la quête d’une solution est compliquée par la réalité du terrain.
À Astana, le défi est d’établir un cessez-le-feu durable qui contribue à rebâtir la confiance entre les parties. Une confiance nécessaire pour toute avancée politique. Nous savons que ce n’est pas gagné.
À Genève, le défi est de profiter des acquis d’Astana pour faire avancer les discussions sur des sujets épineux. Lors de la dernière ronde, en février, les parties ont réussi à s’entendre sur l’ordre du jour de leurs discussions. Ce n’est pas rien, mais le tout est fragile.
En d’autres termes, même si les négociations continuent, la solution n’est malheureusement pas encore pour demain.