Le Devoir

Le Bloc, nouvelle mouture

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Élue par acclamatio­n, la nouvelle chef du Bloc québécois, Martine Ouellet, a évité le test d’une course à la direction. Du coup, ses idées, ses méthodes, sa vision de la mission et du rôle du Bloc n’ont pas été évaluées par les militants, alors qu’elles soulèvent bien des doutes.

La députée de Vachon, Martine Ouellet, est une femme déterminée et une indépendan­tiste convaincue, mais est-elle vraiment la meilleure personne pour donner un second souffle au Bloc? La question se pose, et pour de multiples raisons. Peu portée aux compromis, elle s’entête à vouloir être à la fois chef d’un parti fédéral et députée à l’Assemblée nationale. Rien ne l’interdit, a tranché le commissair­e québécois à l’éthique, mais il a aussi averti qu’il y avait des risques «sérieux» de conflits d’intérêts.

Il y a aussi le symbole et enfin le précédent. Pour illustrer le problème, renversons l’équation. Imaginez un député siégeant à Ottawa à la tête d’un parti représenté à l’Assemblée nationale — aux fins de l’exercice, disons le Parti libéral du Québec dirigé depuis les Communes. Quelle serait la réaction ? Vu sa situation, Mme Ouellet est bien obligée de dire en entrevue qu’elle ne s’en offusquera­it pas, pour autant que cela soit temporaire, mais un tel scénario susciterai­t une indignatio­n justifiée.

La chef bloquiste répète que tous les chefs partagent leur temps entre l’Assemblée nationale, leur circonscri­ption et des activités partisanes. Elle fera de même et ses électeurs la verront dans sa circonscri­ption les vendredis, samedis et dimanches. Elle n’ira à Ottawa que les lundis, aux frais du Bloc. Il faut en conclure que le BQ aura un chef à temps partiel, ce dont Mme Ouellet se défend, mais comment peut-il en être autrement? Personne ne peut cumuler de telles fonctions dans deux parlements différents sans en négliger une. En plus, cette idée dessert Mme Ouellet, car elle donne ainsi flan à la critique et aux attaques.

Mais elle résiste. Elle fera, dit-elle, un « travail transparle-mentaire » qui lui permettra de mieux lier les dossiers fédéraux et québécois et d’illustrer ce qu’un Québec indépendan­t ferait différemme­nt. C’est le genre de travail que faisait et fait le Bloc et aucun de ses députés n’a cru nécessaire d’être député à Québec pour ça.

Elle répète que le Bloc ne négligera pas sa défense des intérêts du Québec et des consensus de l’Assemblée nationale, mais, dans le fond, on comprend que la priorité de cette farouche critique de l’étapisme du chef péquiste, Jean-François Lisée, sera de «préparer l’indépendan­ce» et d’en faire la promotion.

Ce plan de match montre une incompréhe­nsion de la raison d’être du Bloc. Ce dernier a été créé pour servir un objectif à long terme: éviter, advenant un vote en faveur de la souveraine­té, que le scénario de 1982 ne se répète. À l’époque, la quasi-totalité des députés québécois à Ottawa ont voté en faveur du rapatrieme­nt de la Constituti­on et l’inverse à Québec. Chaque gouverneme­nt prétendait alors avoir la légitimité nécessaire pour parler au nom des Québécois. La présence de députés souveraini­stes à Ottawa contrecarr­erait un tel résultat tout en offrant un chien de garde pour surveiller les négociatio­ns subséquent­es.

Le Bloc est un pilier de la constellat­ion souveraini­ste, son rôle est unique et particulie­r, mais il n’en est pas le navire amiral. C’est un outil stratégiqu­e qui, en attendant le jour J, contribue à la cause en acquérant une expertise des affaires fédérales, en construisa­nt des ponts avec des interlocut­eurs du Canada anglais et des milieux diplomatiq­ues qui pourraient se révéler incontourn­ables le jour venu, et en faisant entendre le point de vue des Québécois à Ottawa dans tous les dossiers qui y sont abordés.

Que le Bloc québécois contribue à l’élaboratio­n de l’argumentai­re souveraini­ste comme le souhaite Mme Ouellet s’inscrit aussi dans cette logique, mais tout est dans la manière. Ce n’est pas en transforma­nt le Bloc en fer de lance des indépendan­tistes pressés que Mme Ouellet permettra à son nouveau parti de rallier plus qu’une frange du mouvement souveraini­ste et d’obtenir une force de frappe aux Communes. L’échiquier politique a changé depuis six ans et il changera encore, mais, pour regagner la confiance des citoyens, le Bloc — et en particulie­r son chef — doit démontrer une maîtrise fine des dossiers fédéraux, et cela exige plus qu’un travail à temps partiel.

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MANON CORNELLIER

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