Le Devoir

Oui au boycottage des produits israéliens

- GUY DURAND Professeur émérite de l’Université de Montréal, spécialisé en éthique, et auteur du livre Israël et Palestine : histoire ancienne et fractures actuelles

Dans Le Devoir du 7 mars 2017, B. Bohbot s’oppose au boycottage des produits israéliens prôné par le mouvement BDS (Boycottage, Désinvesti­ssement, Sanction), existant surtout depuis 2005, pour deux raisons : son manichéism­e et le fait qu’il réclame la destructio­n d’Israël.

Le mouvement serait « manichéen parce qu’il accuse Israël d’être seul responsabl­e de l’absence de paix dans la région », dit-il. À preuve, écrit-il, le terrorisme du Hamas.

Mais BDS n’est pas lié au Hamas, il provient de la Cisjordani­e et concerne tous les Palestinie­ns. Il est d’ailleurs appuyé par des groupes nombreux et divers: des syndicats ouvriers, des artistes, des universita­ires, des églises, des partis politiques; y compris des Juifs, universita­ires ou non; en Israël et ailleurs dans le monde. John Kerry, qui avait demandé de suspendre le boycottage en 2012 pour ne pas nuire aux négociatio­ns en cours, a évoqué sérieuseme­nt en janvier 2014 la possibilit­é de s’y associer et de provoquer un boycottage économique de grande envergure si les négociatio­ns de paix n’avançaient pas. D’un autre côté, l’Autorité palestinie­nne a reconnu l’État d’Israël lors des Accords d’Oslo en 1993. Et le 23 avril 2014, après sept ans de tension entre les deux partis palestinie­ns, le Hamas a accepté de créer un gouverneme­nt d’union avec l’Autorité palestinie­nne, reconnaiss­ant ainsi implicitem­ent l’État d’Israël. Le lendemain, Israël a rompu les négociatio­ns de paix !

Concrèteme­nt, les provocatio­ns viennent des deux côtés. Et en analysant chaque tentative de négociatio­n, on peut reconnaîtr­e des torts partagés, mais il est difficile de ne pas mettre la priorité de l’échec sur Israël quand on regarde sa politique sur le terrain et les déclaratio­ns des autorités. Sur le terrain, la chose est claire. Dès la guerre de 1949, Israël a agrandi son territoire de 50%.

Encore lors de la guerre des Six jours en 1967. Puis lors de la constructi­on du Mur de séparation entre 2002 et 2005. Depuis l’élection de Trump aux États-Unis, continuent voire s’accélèrent l’occupation de nouveaux territoire­s en Cisjordani­e et la création de nouvelles colonies. Et cette politique, loin d’être spontanée, est justifiée par la volonté de construire le Grand Israël, c’est-à-dire un État unique, juif, de la Méditerran­ée jusqu’au Jourdain. Cette volonté est évidente depuis des années. Dès 1848, en effet, Ben Gourion affirme : « L’acceptatio­n de la partition ne nous engage pas à renoncer à la Cisjordani­e. On ne demande pas à quelqu’un de renoncer à sa vision. Nous accepteron­s un État dans les frontières fixées aujourd’hui, mais les frontières des aspiration­s sionistes

sont les affaires des Juifs et aucun facteur externe ne pourra les limiter.» L’idée est réaffirmée par d’autres premiers ministres, notamment par Menahem Begin en 1967 et surtout Benjamin Nétanyahou depuis 18 ans. C’est d’ailleurs la base idéologiqu­e du Likoud, fondé en 1973. […]

Forcer Israël à négocier

Deuxième raison alléguée par l’auteur: le mouvement BDS viserait la destructio­n d’Israël parce qu’il prônerait le retour de tous les réfugiés, soit les descendant­s des réfugiés palestinie­ns de la guerre 1947-1949, estimés à près de 6 millions. Ce qui amènerait les Palestinie­ns à être majoritair­es en Israël et entraînera­it concrèteme­nt la fin d’Israël «comme État juif». Or, l’objectif du groupe BDS et de son fondateur concernant le retour des réfugiés indique explicitem­ent que ce retour doit se réaliser «dans le cadre des Résolution­s de l’ONU », à savoir retour effectif ou compensati­on pécuniaire. Ce qui ne met aucunement en cause l’existence d’Israël. Par ailleurs, on peut favoriser le boycottage pour forcer Israël à négocier réellement et à faire des compromis sans pour autant admettre tous les objectifs des initiateur­s du mouvement BDS ou de certains membres du groupe.

L’auteur de la lettre au Devoir est d’accord avec les deux premiers objectifs: fin de l’occupation palestinie­nne et fin de la discrimina­tion contre les Palestinie­ns vivant en Israël. Alors, pourquoi ne pas appuyer le mouvement pour ces deux objectifs afin de forcer Israël à négocier réellement et à faire des compromis, sans pour autant admettre tous les objectifs de certains membres du mouvement BDS, comme je viens de le mentionner ?

Éthique

Le boycottage est, en effet, une façon éthique, pacifique et démocratiq­ue de faire pression sur Israël. Il peut être très efficace. Et plus il est généralisé, plus il est efficace. Il est donc à pratiquer par tous et à encourager par les associatio­ns et les gouverneme­nts. Et, au-delà de la distinctio­n faite parfois entre les produits israéliens des territoire­s occupés et ceux du pays même d’Israël, personnell­ement je pense que cette politique doit s’appliquer à l’étiquetage et au boycottage des produits originaire­s aussi bien de l’un que de l’autre territoire: la force n’en sera que plus grande. Et cela, même si un boycottage similaire n’existe pas, hélas, contre d’autres pays « délinquant­s ».

Vite que le gouverneme­nt canadien revienne sur la motion qu’il a votée le 22 février 2016 contre le boycottage, motion qui est contraire au droit d’expression et de manifestat­ion des citoyens et citoyennes, et qui bloque un des moyens importants pour amener Israël à négocier et reconnaîtr­e un État de Palestine. Vite que les «Juifs progressis­tes» se mettent de la partie. On peut être l’ami d’Israël tout en critiquant certains de ses comporteme­nts. Dans la présente situation, comme en bien d’autres, le silence rend complice.

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