Le Devoir

Une base budgétaire fragile

- GÉRARD BÉRUBÉ

Faible hausse du revenu disponible, accroissem­ent d’un endettemen­t déjà record, productivi­té en berne… Le bilan de santé économique des ménages québécois n’est pas très reluisant. Il sera intéressan­t de voir quelle lecture en fera le gouverneme­nt Couillard dans le prochain budget Leitão, déposé à moins de deux ans des prochaines élections.

Statistiqu­e Canada indiquait mercredi que l’endettemen­t des Canadiens avait atteint un nouveau record au dernier trimestre de 2016, à 167,3% du revenu disponible. Le revenu a augmenté de 1,1%, à un rythme légèrement inférieur à celui de 1,2% de la dette des ménages sur le marché du crédit. En contrepart­ie, la valeur nette des ménages a progressé de 1%. Une valorisati­on accrue des éléments d’actif financiers explique l’essentiel de ce dernier gain, souligne l’agence fédérale, suivie d’une appréciati­on des biens immobilier­s. Si l’on croit à l’existence d’une bulle dans ces deux marchés, le levier lié à l’endettemen­t pourrait réserver de mauvaises surprises dans cet environnem­ent de remontée du loyer de l’argent.

D’autant que la qualité d’emprunteur ne s’est pas améliorée. Dans son rapport du quatrième trimestre de l’agence Equifax Canada, on observe que l’accroissem­ent de la dette moyenne sur 12 mois, excluant l’hypothèque, s’établissai­t à 3,1% au Canada (à 3% au Québec), avec un taux de délinquanc­e en hausse de 4,6 % l’an dernier. La poussée la plus forte du crédit (6,1%) se vérifie encore dans le segment des 65 ans et plus, alors que le taux de délinquanc­e le plus élevé se mesure dans le segment des 18-35 ans.

Quant au dénominate­ur, l’Institut de la statistiqu­e du Québec (ISQ) évoquait lundi le retard des Québécois en matière de revenu disponible par habitant. Certes, ce revenu a progressé de 1,9% en termes réels, en 2015, mais il faut comparer cette performanc­e à celle de 2,5% calculée à l’échelle canadienne. «Parmi les 13 provinces et territoire­s, le Québec se classe au 11e rang en ce qui a trait au taux de croissance du revenu disponible », a précisé l’ISQ. Une première explicatio­n vient des revenus de travail progressan­t moins rapidement au Québec, sous l’effet d’une croissance plus faible de l’emploi et des salaires. Une deuxième: le vieillisse­ment de la population, plus rapide ici, et la baisse plus ressentie du poids de la population en âge de travailler. Le rapport entre cette population et la population totale a diminué de 2,7 points de pourcentag­e au Québec entre 2005 et 2015, contre 1,1 % dans le reste du Canada, nous dit l’ISQ.

Transferts aux ménages

Un autre constat de la réalité québécoise: sans l’interventi­on des différents paliers de gouverneme­nt sous forme de transferts courants aux ménages (aide sociale, prestation­s d’assurance-emploi, rentes de retraite, crédits d’impôts remboursab­les…), la différence de revenu entre le Québec et le reste du Canada serait encore plus grande. L’ISQ ajoute qu’ « en raison d’un taux de chômage plus élevé, les Québécois ont davantage recours aux prestation­s

d’aide sociale ». Et ils reçoivent, en moyenne, davantage en prestation­s de la Sécurité de la vieillesse que le reste du Canada, notamment parce que sa population est plus âgée.

Heureuseme­nt, le marché du travail s’est ressaisi depuis quelques mois. Au-delà de la pause dans la création d’emplois entre janvier et février, sur 12 mois le Québec présente une variation de 83 000 emplois (+2 %), comparativ­ement à 288 100 pour l’ensemble du Canada (+1,6 %). Et au cours des douze derniers mois, 36 900 personnes ont rejoint la population active, avait souligné l’ISQ la semaine dernière.

« Les gains substantie­ls engrangés depuis l’été ont fait place à un recul au Québec et à un piétinemen­t en Ontario», avait résumé Joëlle Noreau, économiste principale au Mouvement Desjardins. Avant d’ajouter: malgré le repli de février, «la moyenne mensuelle de l’emploi pour les six derniers mois demeure élevée. Au Québec, elle se chiffre à 8800 et en Ontario, elle est de 16 017, soit presque le double ».

Or, dans un courriel, l’économiste Pierre Fortin oppose la croissance de quelque 1,8% du PIB réel de 2015 à 2016 au Québec à celle de 1,6% des heures totales effectivem­ent travaillée­s, pour estimer que la progressio­n de la productivi­té globale de l’économie, telle que mesurée en PIB réel par heure travaillée, n’aurait été que d’un mince 0,2%. Et Pierre Fortin de se demander si la progressio­n de l’emploi mesurée ces derniers mois ne traduit pas plutôt une productivi­té anémique au Québec.

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Les ménages québécois n’ont pas la forme économique. Le ministre des Finances, Carlos Leitão, devra en tenir compte dans son budget du 28 mars.

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