Le Devoir

L’accès aux données verrouillé

Québec prive les organismes qui gèrent les bassins versants des informatio­ns colligées par les municipali­tés

- ALEXANDRE SHIELDS

Le gouverneme­nt Couillard a décidé de restreindr­e l’accès aux données fournies par les municipali­tés dans le cadre du programme de suivi des systèmes d’assainisse­ment des eaux usées, a appris Le Devoir. Cette mesure, qui rompt avec la pratique en vigueur depuis des années, signifie que plusieurs organismes ne pourront plus consulter les informatio­ns permettant de vérifier la conformité des stations d’épuration aux normes de rejets et de débordemen­ts.

«On avait accès aux données sur la qualité de l’eau qui sortait des usines de traitement. Maintenant, en n’ayant plus accès à ces données, on vient

de plonger dans le noir», résume la directrice du Regroupeme­nt des organismes de bassins versants du Québec (ROBVQ), Marie-Claude Leclerc.

Dès le 1er avril, le gouverneme­nt du Québec complétera la mise en place du Suivi des ouvrages municipaux d’assainisse­ment des eaux usées (SOMAEU). Ce nouveau système, placé sous l’autorité du ministère du Développem­ent durable, de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s (MDDELCC), remplacera celui qui était auparavant géré par le ministère des Affaires municipale­s et de l’Occupation du territoire.

Cela signifie que les rapports mensuels produits par les municipali­tés pour rendre compte de la performanc­e de leurs systèmes d’assainisse­ments seront mis en ligne sur un site administré par le MDDELCC. Un changement logique, dans la mesure où il est question de données qui témoignent de la présence de rejets de polluants : coliformes fécaux, phosphore, matières en suspension, eaux usées non traitées en raison de surverses, etc.

Accès refusé

Le problème, c’est que plusieurs organismes qui avaient accès aux données de l’ancienne plateforme Web n’auront pas accès au nouveau site sécurisé du SOMAEU. C’est le cas de la Fondation Rivières. Son président, Alain Saladzius, en a pourtant fait la demande au

La Fondation Rivières dénonce aussi ce recul en matière d’informatio­n

MDDELCC. Le ministère lui a répondu que seuls les «exploitant­s municipaux» des stations d’épuration auront accès au système SOMAEU.

Dans une lettre transmise au Devoir et disponible sur nos plateforme­s numériques, la Fondation Rivières dénonce ce recul en matière d’accès à l’informatio­n. « Ces données permettaie­nt de repérer, de comprendre et d’identifier les sources de pollution, de vérifier si la performanc­e des stations d’épuration respecte les exigences, de comptabili­ser et de localiser les fameux débordemen­ts d’eaux usées, d’identifier les problèmes d’opération, de connaître les polluants qui subsistent malgré le traitement des eaux, et tout cela pour chaque mois de l’année», y souligne son porte-parole, l’acteur Roy Dupuis.

Marie-Claude Leclerc a tenté d’obtenir des réponses de la part du MDDELCC et du cabinet du ministre David Heurtel à plusieurs reprises depuis que la transition du système d’un ministère à un autre est prévue. Ses premières démarches remontent au mois d’août 2015, souligne-t-elle. Mais à quelques jours de l’échéance, c’est toujours le silence radio. «Nous n’avons pas de développem­ents sur le sujet.» La directrice générale du ROBVQ juge la situation d’autant plus « étonnante » que l’organisme est reconnu par le ministère comme «l’interlocut­eur privilégié pour la mise en place de la gestion intégrée de l’eau par bassin versant au Québec ».

« Les organismes de bassins versants sont mandatés par le gouverneme­nt pour faire de la gouvernanc­e de l’eau, explique-t-elle. Donc, on mandate un groupe, mais on ne lui donne pas accès aux données nécessaire­s pour faire son travail. C’est quand même particulie­r.» Le Québec compte 40 organismes de bassins versants. Ceux-ci utilisent constammen­t les données du système de suivi des ouvrages d’assainisse­ments. Le ROBVQ a d’ailleurs transmis au Devoir une longue liste d’exemples où ces données ont permis de constater des problèmes environnem­entaux ou des éléments problémati­ques à sur veiller.

Demandes d’accès

Selon Mme Leclerc, le fait de ne plus avoir accès aux informatio­ns en continu compliquer­a grandement le travail des organismes de bassins versants. À titre d’exemple, celui qui est responsabl­e de la rivière Saint-François compte pas moins de 50 municipali­tés sur le cours de cette rivière. « Ce comité devra faire 50 demandes pour avoir la même informatio­n qu’il peut obtenir actuelleme­nt en un clic sur un site Web, souligne-t-elle. Les municipali­tés vont recevoir des tonnes de demandes d’informatio­ns.»

Pour la Fondation Rivières, la nouvelle donne imposée par le gouverneme­nt Couillard constitue «un obstacle administra­tif quasi infranchis­sable ». «Comme on fait des portraits pour chaque rivière, il faudrait faire une demande d’accès à l’informatio­n chaque mois, et à chaque municipali­té, en plus d’assurer le suivi. Ce n’est pas viable. Nous ne ferons jamais cela», fait valoir Alain Saladzius.

Dans une réponse transmise en début de soirée, le MDDELCC confirme que l’accès au nouveau système SOMAEU est réservé aux exploitant­s municipaux des ouvrages d’assainisse­ment des eaux usées. Le ministre promet toutefois que «les données colligées à partir du système SOMAEU seront publiques et accessible­s à partir du site Web du MDDELCC lorsque ces dernières seront officielle­s, c’est-à-dire lorsque l’exploitant municipal aura transmis son rapport annuel au ministère ».

On ne précise toutefois pas quels seront les délais avant la publicatio­n de ces données, qui ne seront plus rendues publiques sur une base mensuelle. Qui plus est, au cours des dernières années, plusieurs « avis de non-conformité » ont été donnés par le MDDELCC en raison de retards dans la transmissi­on des rapports annuels pour les ouvrages municipaux d’assainisse­ment.

Par ailleurs, les données qui sont toujours disponible­s à l’heure actuelle sur le Web pour les années antérieure­s seront supprimées en date du 1er avril. Le gouverneme­nt invite les municipali­tés à sauvegarde­r les documents « per tinents ».

 ?? ISTOCK ?? Les données recueillie­s par les municipali­tés permettent à des organismes comme la Fondation Rivières de vérifier si, par exemple, les stations d’épuration respectent les exigences.
ISTOCK Les données recueillie­s par les municipali­tés permettent à des organismes comme la Fondation Rivières de vérifier si, par exemple, les stations d’épuration respectent les exigences.

Newspapers in French

Newspapers from Canada