Le Devoir

Les appareils électroniq­ues interdits de cabine

Washington et Londres appréhende­nt des attentats sur des vols en partance de certains pays

- ANNABELLE CAILLOU

Les passagers de vols directs en provenance de huit pays, majoritair­ement du MoyenOrien­t, et à destinatio­n des États-Unis ne pourront plus transporte­r avec eux en cabine des appareils électroniq­ues. Adieu ordinateur­s portables, tablettes, consoles de jeux, liseuses et autres distractio­ns numériques, qui devront dorénavant se retrouver dans la soute à bagages. Seuls les téléphones cellulaire­s seront encore acceptés.

Craignant un risque d’attentats terroriste­s, le gouverneme­nt américain a décidé de s’attaquer aux objets susceptibl­es de dissimuler une bombe dans un avion. La nouvelle mesure, qui entrera en vigueur dès samedi, s’appliquera essentiell­ement aux vols sans escale en provenance d’Égypte, de Jordanie, du Koweït, du Maroc, du Qatar, de l’Arabie saoudite, de la Turquie et des Émirats arabes unis. En tout, une cinquantai­ne de vols quotidiens de neuf compagnies aériennes partant de dix aéroports internatio­naux seront affectés. La Turquie a rapidement réagi à l’annonce, demandant à Washington «de revenir en arrière ou d’alléger» sa mesure.

Le Royaume-Uni n’a pas tardé à emboîter le pas, visant quant à lui la Turquie, le Liban, la Jordanie, l’Égypte, la Tunisie et l’Arabie saoudite.

Au Canada aussi?

La France et le Canada envisagent aussi d’adopter une politique similaire. «Nous allons examiner l’informatio­n qui nous a été donnée et nous allons ensuite décider comment procéder », a déclaré le ministre des Transports, Marc Garneau, en contact étroit avec le secrétaire américain à la Sécurité intérieure, John Kelly, depuis lundi.

Le ministère des Transports a précisé au Devoir qu’il mène actuelleme­nt, de concert avec le ministère de la Sécurité publique, la Gendarmeri­e royale du Canada (GRC) et le Service canadien du renseignem­ent de sécurité (SCRS), sa propre analyse de la situation et de la menace. Sans indiquer de date précise, M. Garneau a affirmé que ce dossier était maintenant une priorité et qu’une décision serait rendue publique rapidement.

Si le Canada n’est pas directemen­t visé par la mesure, un ressortiss­ant voyageant dans un des pays concernés devra forcément se plier à la réglementa­tion.

«L’examen de renseignem­ents indique que des groupes terroriste­s continuent de viser le transport aérien et cherchent de nouvelles méthodes pour perpétrer leurs attentats, comme dissimuler des explosifs dans des biens de consommati­on»,a expliqué un des responsabl­es américains mardi pour justifier la décision, sans pour autant préciser la nature des renseignem­ents dont Washington dispose.

Selon CNN, cette directive serait liée à une menace d’al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), la branche du groupe djihadiste au Yémen. La chaîne ABC cite, elle, une source proche du renseignem­ent qui évoque plutôt le groupe État islamique.

Cette « mesure extrême » du gouverneme­nt Trump pourrait suggérer l’existence de réelles craintes d’une attaque terroriste, d’après Stéphanie Carvin, experte en sécurité nationale à l’Université Carleton.

«Il y a eu des antécédent­s, rappelle-t-elle. Le 2 février 2016, une bombe dissimulée dans un ordinateur portable a explosé dans un avion [un Airbus A321 de Daallo Airlines] qui partait de Somalie. » L’attaque revendiqué­e par les islamistes somaliens shebab affiliés à al-Qaïda avait provoqué un trou d’un mètre de diamètre dans le fuselage de l’avion et tué le présumé responsabl­e. L’explosion aurait pu faire bien plus de morts si l’engin n’avait pas explosé juste après le décollage, au bout de 15 minutes de vol.

Une opinion que partage Benoît Gagnon, directeur en cybersurve­illance et sécurité de l’informatio­n pour le Corps canadien des Commission­naires. «Le Canada et le Royaume-Uni font partie des "five eyes", les pays de la grande surveillan­ce électroniq­ue. On sait qu’ils sont proches des ÉtatsUnis et qu’ils se communique­nt beaucoup d’informatio­ns. C’est donc logique que les alliés suivent.»

Une mesure inutile ?

Plusieurs experts doutent toutefois de l’efficacité de cette directive. « Al-Qaïda et le groupe État islamique sont partout dans le monde, pourquoi viser juste ces aéroports?» se questionne Stephanie Carvin.

Le gouverneme­nt Trump ne fait que prévenir les potentiels terroriste­s avec cette annonce en grande pompe, croit de son côté Janine Krieber, professeur­e retraitée au Collège militaire royal de Saint-Jean. «Si j’étais un terroriste, je ne partirais pas des pays visés, je prendrais des vols intérieurs, de Paris vers Montréal puis les États-Unis, qui sont considérés comme des vols peu risqués.»

Aux yeux de Benoît Gagnon, les personnes désirant commettre un attentat doubleront d’imaginatio­n et trouveront une faille dans le système. «Ils utiliseron­t quelque chose de plus complexe, ou au contraire, si simple que ça va échapper à la sécurité. Les terroriste­s nous habituent à penser l’impensable et à réussir l’impossible.»

Il estime qu’il faudrait renforcer la sécurité dans les aéroports plutôt que dans les avions. «C’est devenu tellement difficile de s’attaquer directemen­t à un avion que les terroriste­s visent davantage les aéroports. On l’a vu avec Bruxelles.»

La nouvelle mesure pourrait même avoir un effet inverse, selon lui, puisque les bagages en cabine sont plus surveillés que ceux en soute. Les batteries de certains ordinateur­s portables peuvent s’enflammer, ce qui est plus facilement détectable lorsque l’appareil est en cabine.

Un geste symbolique

D’après Mme Krieber, interdire les appareils électroniq­ues est avant tout symbolique. « On veut montrer aux gens qu’on fait quelque chose, on rassure les voyageurs. Mais la sécurité totale n’existe pas. »

Elle ne serait pas surprise de voir les systèmes de contrôle dans les aéroports se renforcer encore plus dans les prochaines années. «Il se peut qu’un jour on nous interdise carrément tout, aucun bagage en cabine, rien. Et personne ne va contester, car on veut juste prendre notre avion.»

Aucune échéance n’a été pour le moment dévoilée par les autorités. Si toutefois les mesures n’étaient pas respectées, Washington empêchera les compagnies aériennes concernées de voler vers les États-Unis.

Cette restrictio­n s’inscrit dans un contexte de durcisseme­nt de la politique migratoire aux États-Unis, depuis l’entrée en fonction du président Donald Trump le 20 janvier dernier.

Ce dernier tente depuis plusieurs semaines de faire passer son décret interdisan­t l’entrée sur son territoire aux ressortiss­ants de six pays majoritair­ement musulmans, ainsi qu’aux réfugiés. Le décret a été une première fois bloqué par des juges fédéraux en janvier. Sa version corrigée a subi le même sort il y a quelques semaines.

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