Comment concilier l’aide à mourir et le don d’organes?
Faute de règles claires, le dilemme continue de relever de la politique interne de chaque hôpital
Même si aucun don d’organe n’a encore été fait au Québec par des patients ayant obtenu l’aide à mourir, la controverse persiste quant à savoir s’il faut ou non informer certains patients de la possibilité de faire don de leurs organes au moment où ces derniers se préparent à leur propre mort.
Selon des chiffres publiés par le National Post mardi, plus de deux douzaines d’organes et de tissus ont été prélevés en Ontario depuis juin 2016 auprès de patients ayant choisi de faire un don avant de se voir administrer l’aide à mourir.
Au Québec, il n’y aurait pas eu de cas à ce jour, et un flou continue de planer sur le protocole à suivre en matière de don d’organes. Les façons de faire diffèrent d’un hôpital à l’autre. Et cela, même si deux avis ont été formulés par des comités éthiques au Québec.
Selon Transplant Québec, si aucun organe n’a encore été prélevé auprès de patients ayant requis l’aide à mourir, « c’est que la très grande majorité des patients, atteints de cancer en phase terminale, ne peuvent donner leurs organes. Mais des patients atteints de maladies dégénératives, eux, pourraient se qualifier. Dans ces cas, si le patient décide d’aller de l’avant, on a le mot d’ordre de procéder», affirme Jean-François Lizé, directeur médical à Transplant Québec et intensiviste au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).
En Ontario, la vaste majorité des dons auraient été des tissus humains.
Héma-Québec, responsable de ce type de prélèvement (peau, cornée, artères, tendons, etc.) affirme ne pas savoir si de tels dons ont été faits en contexte d’aide à mourir, car l’organisme, qui effectue ces prélèvements après le décès, ne consigne pas la cause des décès.
Même si la question demeure théorique pour l’instant, elle reste hautement pertinente compte tenu de la hausse croissante du nombre de demandes d’aide à mourir au Québec. Aux Pays-Bas et en Belgique, où l’euthanasie est autorisée depuis 2001 et 2002, on a recensé plus d’une trentaine de cas ces dernières années.
En sus, l’élargissement des critères d’accès à l’aide à mourir — récemment évoqué par certains politiciens — aux patients atteints de maladies neurodégénératives pourrait faire augmenter de façon substantielle le nombre de donneurs potentiels, affirme le Dr Lizé.
Controverse
Même si Transplant Québec et la Commission de l’éthique en science et en technologie (CEST) ont tous deux émis des avis «moraux» autorisant le don d’organes dans le contexte de l’aide à mourir, il n’y a pas de consensus ni de règles strictes sur les conditions dans lesquelles cela doit se faire.
Transplant Québec y est favorable, mais à la seule condition que le patient ne soit ni «sollicité» ni questionné à ce sujet. La CEST juge que le patient doit être informé de la possibilité de poser ce geste humaniste durant le traitement de sa demande d’aide à mourir. Mais, à la condition qu’aucun lien ne soit tracé entre l’accès à l’aide à mourir et le fait de donner ses organes.
Pour Marie-Chantal Fortin, néphrologue, spécialiste de la transplantation au CHUM et membre du comité d’éthique de Transplant Québec, il faut éviter que des patients puissent ressentir une pression indue à donner leurs organes ou, au contraire, à choisir l’aide à mourir seulement pour «sauver d’autres personnes ». Pour ne pas entacher la confiance du public envers le processus de don d’organes, Transplant Québec préfère jouer de prudence, explique-t-elle.
Faute de règles claires, le « dilemme » d’informer ou pas les patients continue donc de relever de la politique interne de chaque hôpital et des médecins traitants, affirment les Drs Fortin et Lizé.
Au CHUQ, notamment, on s’abstient de faire toute référence au don d’organes, alors qu’au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS), le traitement des demandes d’aide à mourir prévoit spécifiquement que le patient doit être informé de la possibilité de donner ses organes après sa mort.