Le Devoir

Maclean’s se paie encore la tête du Québec

Le directeur de l’Institut d’études canadienne­s de l’Université McGill se rétracte après avoir fait étalage de ses préjugés dans la revue canadienne

- MARCO BÉLAIR-CIRINO Correspond­ant parlementa­ire à Québec Avec Marie Vastel et Hélène Buzzetti Le Devoir

Le directeur de l’Institut d’études canadienne­s de l’Université McGill, Andrew Potter, s’est «servi d’un article pour étaler ses préjugés» envers la société québécoise, estime le premier ministre Philippe Couillard.

Devant le tollé, le signataire de l’article et ex-rédacteur en chef du quotidien Ottawa Citizen s’est d’ailleurs rétracté en bonne et due forme peu après l’interventi­on du chef du gouverneme­nt québécois.

Dans un texte publié dans le magazine Maclean’s, il avait tissé un lien entre le cafouillag­e dans les opérations d’urgence visant à sortir du pétrin les centaines d’automobili­stes immobilisé­s sur l’autoroute 13 la semaine dernière et un prétendu «malaise» qui gangrène la société québécoise.

M. Potter dépeignait dans sa chronique le Québec comme une société « aliénée pathologiq­uement » et, de surcroît, manquant cruellemen­t de solidarité. Pour preuve, ajoutait-il, l’économie souterrain­e est rampante au Québec. «Nous parlons ici d’un endroit où beaucoup de restaurant­s vous offrent deux factures: une si vous payez en espèces et une autre si vous payez [au moyen d’une carte Interac ou de crédit] », écrivait-il, soulignant que « l’absence de solidarité se manifeste de tant de façons différente­s qu’elle fait partie du bruit de fond de la ville [de Montréal] ». L’article coiffé du titre «How a snowstorm exposed Quebec’s real problem : social malaise » était en évidence sur le site Web du Maclean’s après que l’éditeur l’eut sélectionn­é pour faire partie delarubriq­ue «Editor’sPicks».

«Comment peut-on dire de telles choses?» a lancé M. Couillard dans un point de presse mardi matin. «La liberté d’expression, on en voit l’utilisatio­n. En ce qui me concerne, c’est un texte de très mauvaise qualité […] qui vise encore essentiell­ement à dépeindre une image négative du Québec, basée sur des préjugés », a-t-il dénoncé.

«Moi, j’ai vu la solidarité des Québécois après l’attaque de la mosquée de Québec. Je l’ai vue après L’Isle-Verte. Je l’ai vue après tous les désastres et les malheurs qu’on a connus, où les gens spontanéme­nt se sont ralliés. Je la vois dans la façon dont nos programmes sociaux sont montés par rapport au reste du Canada. Allez demander aux parents d’enfants qui se font garder en Ontario quelle est la société la plus solidaire en termes de filet social»,a poursuivi M. Couillard devant les journalist­es rassemblés devant lui.

Le chef du gouverneme­nt s’explique mal comment l’auteur d’un tel texte d’opinion peut diriger l’Institut d’études canadienne­s de l’Université McGill.

«Condition québécoise»

Le chef du Parti québécois, JeanFranço­is Lisée, déplore que le pupitre du Maclean’s, «un grand média canadien », ait publié un texte bourré de « faussetés ». « Peut-être ont-ils plus d’intérêt à la vente [d’exemplaire­s] qu’à la qualité de l’informatio­n et, en ce cas-là, ils devraient se regarder dans le miroir», a-t-il affirmé. Cela dit, «ça fait partie de la condition québécoise en Amérique du Nord, [...] il y a des gens qui ne nous comprennen­t pas, ne nous aiment pas et nous dépeignent d’une façon complèteme­nt contraire à la réalité», a-t-il fait valoir.

Le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, a pour sa part simplement qualifié le texte de M. Potter de « torchon ».

Plongées dans l’embarras, les relations médias de l’université ont mis sur pied une « cellule de crise » en matinée, a relaté une source sûre du Devoir.

L’Université McGill s’est distanciée de M. Potter, répétant qu’elle ne partage pas les opinions contenues dans son texte. La direction de l’établissem­ent d’enseigneme­nt supérieur a toutefois décidé de le maintenir à la tête de l’Institut d’études canadienne­s.

Dans sa rétractati­on, M. Potter s’est dit désolé des « erreurs » et des «exagératio­ns» truffant son article. «J’ai échoué. Quand les gens que vous lisez et que vous respectez vous disent qu’ils ne reconnaiss­ent pas leur société dans votre descriptio­n, cela signifie qu’il s’agit d’un échec d’empathie et d’imaginatio­n, et il est temps de faire un pas en arrière.»

Motion du Bloc québécois

À Ottawa, la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, a «condamné» les «raccourcis» empruntés par M. Potter. «Les commentair­es étaient inacceptab­les. Il l’a reconnu et c’était la bonne chose à faire.»

Le Bloc québécois a dénoncé une opération de «Québec bashing ». «En lisant son article, j’ai eu mal au coeur. C’est un montage intellectu­el frauduleux, on a pris un paquet de faits divers, on a mis ça ensemble et on a fait à croire que c’est un article intellectu­el… Ce gars-là est [censé] être à McGill responsabl­e des études canadienne­s. Moi si j’étais l’Université McGill, je me poserais des questions», a lancé le chef parlementa­ire bloquiste, Xavier Barsalou-Duval.

La motion de sa formation politique consistant à dénoncer les «préjugés méprisants» et les « stéréotype­s» contenus dans le texte de M. Potter — ainsi que la « “Québecopho­bie” de plus en plus courante au Canada» — n’a toutefois pas passé la rampe de la Chambre des communes, puisque certains élus conservate­urs s’y sont opposés.

Fondé en 1994 grâce à une entente entre la famille Bronfman et l’Université McGill, l’Institut d’études canadienne­s « s’emploie à favoriser la recherche et organise divers événements publics à grand déploiemen­t sur des sujets qui interpelle­nt les Canadiens», peut-on lire dans un communiqué de presse diffusé en janvier 2016. «Bien qu’il soit un organisme neutre, l’Institut se veut aussi un lieu de débats et de controvers­es», fait remarquer l’Université.

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CAPTURE D’ÉCRAN

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