Le Devoir

Cinéma : Trainspott­ing 2 ou le charme discret de la nostalgie

La suite de Trainspott­ing prend volontiers des allures de « greatest hits »

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Vingt ans après avoir marqué une génération de cinéphile, la bande de camés d’Édimbourg reprend l’écran d’assaut. Un second tour de piste au cours duquel tant le film que ses artisans regardent résolument en arrière.

«Tu n’es pas ici pour te recueillir. Tu es ici par pure nostalgie.» Cette réplique entendue dans la suite du cultissime Trainspott­ing (Ferrovipat­hes au Québec) résume parfaiteme­nt le film, son intrigue et ses enjeux. Telle que mise en scène par son réalisateu­r original, Danny Boyle, et interprété­e par ses vedettes d’antan également, l’entreprise s’avère, sur la base de ce prétexte plutôt mince, assez distrayant­e. Cela étant, c’est ce regard braqué sur le rétroviseu­r, tant dans l’action que dans la réalisatio­n, qui frappe réellement.

Pour les néophytes, Trainspott­ing est basé sur un roman d’Irvine Welsh et conte les péripéties crades d’un groupe de junkies édimbourge­ois : Mark «Rent Boy» Renton (Ewan McGregor), Simon «Sick Boy» Williamson (Jonny Lee Miller), Daniel «Spud» Murphy (Ewen Bremner), Thomas «Tommy» MacKenzie (Kevin McKid), et Francis «Franco» Begbie (Robert Carlyle), ce dernier non pas un toxicomane, mais un psychopath­e.

Entre petits délits et hallucinat­ions, l’obsession de la prochaine dose agit comme moteur existentie­l et narratif. On vole les magasins, ses parents… puis ses amis. Lorsque la bande met la main sur un

magot, les masques émaciés tombent. « D’abord vient une opportunit­é, puis une trahison. » Le film se termine avec Mark qui, après s’être emparé du butin, s’enfuit en souriant à la caméra.

Cela, c’était en 1996. La suite de Trainspott­ing, T2, reprend 20 ans plus tard. En instance de divorce et sur le point de perdre son travail, un Mark réformé rentre à Édimbourg où il renoue avec Daniel, qui lutte pour se tenir loin de l’héroïne, puis avec Simon qui, entre deux lignes de coke, ne pense qu’à se venger de son ancien meilleur ami. Évadé de prison, Francis entend lui aussi se faire justice.

Métaphore du réel

Après le succès-surprise de leur premier film, l’excellente comédie noire Shallow Grave (Petits meurtres entre amis), le cinéaste Danny Boyle, le scénariste John Hodge et le comédien Ewan McGregor furent propulsés à l’avant-scène. Tous trois partirent pour Hollywood. Après un film que tout le monde a oublié vint l’adaptation du roman The Beach (La plage), un projet très, très médiatisé tourné en Thaïlande.

«D’abord vient une opportunit­é, puis une trahison»… Appâté par une promesse de budget accru, Danny Boyle retira le rôle principal à son complice des débuts, Ewan McGregor, au profit du jeune premier du moment, Leonardo DiCaprio. S’en suivit un froid qui dura plus de dix ans. En dépit d’un raccommoda­ge en 2009, T2 marque les retrouvail­les cinématogr­aphiques officielle­s de Boyle et McGregor. La fiction, en une mise en abyme plus nécessaire que préméditée, fait ainsi écho à la réalité, avec l’inimitié qu’éprouve Simon, autrefois floué par Mark, redevenant graduellem­ent de l’amitié.

À cet égard, une autre réplique, énoncée celle-là par Veronika, la petite amie de Simon, est des plus révélatric­es quant à la nature profonde de ce retour au pays du temps jadis. Pendant qu’un Simon défoncé et qu’un Mark «stone» parlent l’un par-dessus l’autre en tentant de lui expliquer leur passé glorieux, la jeune femme lance en bulgare : «Vous devriez vous déshabille­r et faire l’amour ensemble et passer à autre chose. »

Les protagonis­tes sont accrochés l’un à l’autre, scotchés dans le passé. Et c’est exactement la relation que T2 entretient avec son prédécesse­ur.

Répétitif, mais ef ficace

En effet, l’un des aspects les plus étonnants de la réalisatio­n de Danny Boyle est cette propension à non seulement y répéter certains plans iconiques, mais à carrément la truffer de clips tirés de l’original. On a parfois l’impression d’un « greatest hits » visuel.

Ce parti pris surprend parce que Boyle s’est souvent démarqué par son désir manifeste d’essayer toutes sortes de procédés et techniques — voir par exemple 28 Days Later (28 jours plus tard), 127 Hours (127 heures) ou Slumdog Millionnai­re (Le pouilleux millionnai­re). Souvent excessif, son cinéma voit certes son impact se dissiper dès lors qu’on le revisite, à quelques exceptions près, mais il saisit sur le coup, indéniable­ment.

Caractéris­é par un mouvement frénétique, une énergie et des couleurs volontiers pétaradant­es, le travail de Boyle est ici reconnaiss­able, mais répétitif. C’est comme si, justement, le cinéaste avait voulu reproduire la charge cinétique et esthétique du premier film.

Il en résulte un succédané de bonne qualité, efficace, plutôt qu’une réelle continuati­on, en cela que ni Boyle ni Hodge ne cherchent à «aller plus loin», leurs personnage­s ainsi qu’eux-mêmes apparemmen­t satisfaits de faire du surplace.

Mais au fond, T2, gros succès en Grande-Bretagne, ne livre-t-il pas exactement ce qu’attendaien­t les admirateur­s de la première heure ?

Réuni dans la salle de cinéma, le public n’est-il pas là, lui aussi «par pure nostalgie»?

T2 TRAINSPOTT­ING (V.O. FERROVIPAT­HES 2)

Comédie dramatique de Danny Boyle. Avec Ewan McGregor, Jonny Lee Miller, Ewen Bremner, Robert Carlyle, Anjela Nedyalkova. Grande-Bretagne, 2017, 117 minutes.

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SONY PICTURES Les protagonis­tes sont accrochés l’un à l’autre, et à leur passé. Et c’est exactement la relation que Trainspott­ing 2 entretient avec son prédécesse­ur.

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