Le Devoir

Un litige de 124 millions

Le gestionnai­re du chantier veut être dédommagé par Ottawa pour un vice caché dans l’appel d’offres

- MARCO FORTIER

Le consortium privé responsabl­e de construire le nouveau pont Champlain réclame 124 millions de dollars à Infrastruc­ture Canada pour un imprévu majeur qui met en péril la livraison du pont dans les délais requis.

Selon ce que Le Devoir a appris, le chantier — un des plus importants au Canada — est en retard de six à neuf mois. Le consortium Signature sur le Saint-Laurent (SSL), mené par le géant SNC-Lavalin, s’apprête à déposer une poursuite en Cour supérieure dans l’espoir de forcer Ottawa à payer pour un obstacle qui se dresse sur ce chantier estimé à 2,15 milliards de dollars.

L’état lamentable du pont Champlain actuel empêche la livraison de centaines de pièces du futur pont par des camions en surcharge, a révélé Le Devoir au début du mois de mars. Le pont existant est tellement fragile qu’il ne peut plus supporter de charges supérieure­s à 30 tonnes. Il s’agit d’un problème crucial, parce que le pont actuel était la seule porte d’entrée vers le chantier pour 960 pièces hors-norme, fabriquées dans des usines du Québec, qui pèsent jusqu’à 80 tonnes.

Les pièces devaient arriver par la Rive-Sud et parvenir au chantier par le pont actuel, car il est impensable de traverser Montréal avec ces segments de béton ou d’acier, dont certains ont une longueur de plus de 35 mètres.

Devant l’impossibil­ité d’emprunter le pont Champlain, les gestionnai­res du chantier ont dû changer en catastroph­e toute leur stratégie pour acheminer ces morceaux du futur pont. Ils ont dû se tourner vers le train et vers le fleuve Saint-Laurent. Ils doivent aussi louer à gros prix des espaces pour entreposer ces pièces géantes.

Ce casse-tête logistique entraîne des coûts et des délais de constructi­on. Une partie de bras de fer oppose le consortium et Ottawa pour le partage de la facture supplément­aire. Selon nos informatio­ns, le consortium SSL prépare une poursuite de 124 millions de dollars contre Infrastruc­ture Canada.

Le projet de 2,15 milliards accuse un retard de six à neuf mois

Mécanisme de résolution

Le constructe­ur allègue que l’organisme fédéral avait été informé par le ministère des Transports du Québec dès le mois de

mars 2015, en pleine période d’appel d’offres, que les camions ne pourraient transporte­r plus de 65 tonnes sur le réseau routier québécois (la limite est deux fois moindre sur le pont Champlain, qui est sous juridictio­n fédérale).

Le consortium SSL affirme avoir obtenu le contrat de constructi­on du pont sans avoir été informé de ce fait déterminan­t pour la gestion des travaux. Comme il s’agit d’un partenaria­t publicpriv­é, Ottawa doit assumer sa part des coûts associés à cet imprévu, allègue le consortium.

L’ancien ministre de l’Infrastruc­ture, Denis Lebel, avait déclaré à l’inaugurati­on du chantier du nouveau pont Champlain, en juin 2015, que le groupe SSL devrait payer tout dépassemen­t de coûts. Son successeur, Amarjeet Sohi, est moins catégoriqu­e. Il a souligné qu’un mécanisme du contrat prévoit la résolution de ce type de dispute.

Ce mécanisme a échoué, indiquent nos sources. Un comité indépendan­t formé d’un juriste, d’un ingénieur et d’un comptable a rendu une décision le 31 octobre 2016. Le consortium SSL estime que cet avis (qui n’a pas été rendu public) lui ouvre la porte à une compensati­on financière et à une période de temps supplément­aire pour livrer le pont.

Cinq mois plus tard, les parties ne s’entendent pas sur ces questions. Mais le temps presse: il ne reste que 20 mois pour compléter le pont, dont la livraison est prévue le 1er décembre 2018.

Le groupe SSL a affirmé au Devoir, au début du mois, qu’il est toujours possible de respecter l’échéancier pour la constructi­on du nouveau pont malgré le « défi » associé à la livraison des pièces. De toute évidence, la pression augmente.

Rythme accéléré

Un autre imprévu, attribuabl­e au consortium SSL, contribue au retard du chantier. La constructi­on des 37 chevêtres du pont, sur lesquels s’appuiera la superstruc­ture, progresse moins vite que prévu.

Ces pièces sont fabriquées en Espagne. Le consortium a fait appel à deux autres fournisseu­rs, de sorte qu’ils sont désormais trois — les firmes Megusa, Tecade et Dizmar. Un premier navire transporta­nt ces structures en métal doit arriver au port de Montréal la semaine prochaine, le 4 ou le 5 avril.

Le rythme de constructi­on doit s’accélérer au cours des prochains jours, avec le retour attendu du temps plus doux. Le gestionnai­re du chantier prévoit ajouter un quart de travail et le nombre d’employés est appelé à presque doubler, de 550 à 1000.

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Le nouveau pont doit être livré le 1er décembre 2018.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le nouveau pont doit être livré le 1er décembre 2018.

Newspapers in French

Newspapers from Canada