Le Devoir

Le nombre de plaintes va augmenter, croit Hélène David

Les victimes seront plus enclines à dénoncer leur agresseur quand elles se sentiront accueillie­s

- JESSICA NADEAU

La ministre Hélène David s’attend à une augmentati­on du nombre de plaintes sur les campus des cégeps et université­s. Elle promet également de créer un groupe de travail composé de juristes pour étudier la délicate question de la confidenti­alité des sanctions.

«À partir du moment où il y aura une politique [spécifique pour contrer les violences à caractère sexuel], avec une reddition de compte importante, qu’il y aura des mécanismes en place, qu’on en parlera davantage, que les plaignante­s — et les éventuelle­s plaignante­s — vont savoir qu’un processus de qualité est mis en place, j’ai l’impression que ça risque d’augmenter le nombre de plaintes», affirme la ministre en entrevue au Devoir.

La ministre n’était pas étonnée de voir que le nombre de plaintes, depuis 10 ans, était si peu élevé dans les cégeps et université­s, comme le révélait Le Devoir. « Comme ils n’ont pas de politique, pas de plan d’interventi­on, il n’y a effectivem­ent pas beaucoup de plaintes. Possibleme­nt

que les établissem­ents [qui ont refusé de divulguer leurs chiffres] n’ont même pas comptabili­sé ces chiffres. C’est un enjeu qui sera réglé quand on aura une politique. Quand il y aura des logos, des témoins actifs, des mesures de prévention et de sensibilis­ation [sur les campus], je pense qu’il va y avoir plus de dévoilemen­ts. On l’a vu dans plein d’autres domaines.»

En marge d’une consultati­on à Sherbrooke, il y a quelques semaines, la ministre soutenait qu’une augmentati­on du nombre de plaintes ne nuirait pas à la réputation des établissem­ents québécois puisque cela se traduirait par un meilleur encadremen­t. «On n’est pas tout seul là-dedans, il y a des provinces canadienne­s et les ÉtatsUnis qui le font. Pour moi, c’est mieux d’en parler et d’agir que de faire comme si ça n’existait pas. »

Reddition de compte

La ministre, qui vient de terminer une série de consultati­ons sur les violences à caractère sexuel dans les établissem­ents postsecond­aires, a annoncé son intention de créer une loi-cadre pour obliger tous les cégeps et université­s à se doter d’une politique spécifique pour lutter contre ce fléau qui touche une étudiante sur trois, selon les dernières études.

Le Devoir révélait, samedi, que sur les 65 établissem­ents postsecond­aires au Québec, à peine 3 université­s et 5 cégeps disposent d’une telle politique. Des victimes dénonçaien­t les failles du système. Elles avaient l’impression que les administra­teurs se cachent derrière des politiques de façade pour mieux justifier leur inaction.

Consciente du problème, la ministre Hélène David affirme qu’elle exigera, à travers sa loicadre, une « reddition de compte intelligen­te ».

Les établissem­ents devront rendre public le nombre de plaintes, mais également des comptes-rendus sur ce qui fonctionne ou non, ce qui peut être amélioré, etc. Au cours des dernières semaines, la ministre a rappelé à maintes reprises qu’elle suivrait les cégeps et les université­s de près. Aujourd’hui, elle précise que ce seront les Conseil des collèges et Conseil des université­s — des entités qu’elle n’a pas encore créées — qui se verront confier cette tâche. « C’est ma ferme intention que ce genre de mandat soit inclus dans les responsabi­lités des Conseil des collèges et Conseil des université­s. Il y aura des membres de la société civile, des étudiants, des enseignant­s, des représenta­nts du personnel et je vais leur demander de suivre cela de près […] Il va y avoir une lecture, une analyse de tout ça, alors ça va aider notre travail à l’Assemblée nationale».

La confidenti­alité des sanctions

Le fléau de la violence à caractère sexuel sur les campus universita­ires est bien documenté, mais aucune étude ne s’est penchée spécifique­ment sur le problème dans les cégeps. Les chercheuse­s de l’Enquête sexualité, sécurité et interactio­n en milieu universita­ire (ESSIMU) avaient demandé du financemen­t pour une telle étude. Questionné­e à ce sujet lundi, la ministre ne dit pas non, mais refuse de se commettre. « Je ne suis pas rendue à vous annoncer cela, affirme-telle. On va voir en temps et lieu, mais je vais avoir une grande ouverture à regarder cela.»

Elle compte également se pencher sur la question de la confidenti­alité des sanctions, qui cause un grand sentiment d’injustice chez les victimes. « Je souhaite faire un petit groupe de travail qui va cheminer avec le ministère pour reprendre toutes les principale­s avenues qui ont été déposées [pendant les consultati­ons] et les principaux enjeux, dont cette question évidemment très complexe de la confidenti­alité des sanctions […] Il y aura, dans ce petit groupe, des juristes pour regarder la différence entre des sanctions disciplina­ires et le processus [légal]. On est dans deux paradigmes différents, ce qui n’empêche pas qu’il va falloir regarder la question du suivi auprès des plaignante­s. »

CALACS

La ministre jongle également avec l’idée de créer des bureaux d’interventi­on sur chacun des campus, comme le recommanda­it la semaine dernière le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes du Canada. Elle assure que les centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) seront mis à contributi­on, mais elle ignore comment cela va se traduire sur le terrain. «Je ne sais pas encore, il y a une question de géographie, de volume. Il y a déjà des université­s qui travaillen­t avec les CALACS, d’une région à l’autre, c’est très différent. On ne pourra pas faire du mur à mur. Mais le gouverneme­nt soutient les CALACS et soutient les collèges et les université­s donc, il y a de la place pour beaucoup de collaborat­ion et d’expertise.»

Critiques

Les critiques ont été vives lors du lancement des consultati­ons, notamment de la part de victimes qui n’avaient pas été conviées. Mais contre toute attente, des victimes se sont dites agréableme­nt surprises par la tournure des consultati­ons.

« On a vu le discours de la ministre évoluer depuis l’automne, se réjouit Ariane Lemay, une victime qui a fondé le groupe Québec contre les violences sexuelles. Il y a une certaine ouverture d’impliquer le communauta­ire et les survivante­s et cela me rend très optimiste. »

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