Le Devoir

La nouvelle croisade

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

Avec un impôt sur le revenu résolument progressif, un réseau de garderies subvention­nées incomparab­le et des droits de scolarité remarquabl­ement bas, les Québécois se plaisent à croire que la « société distincte » est celle où l’égalité des chances est la plus grande au Canada, pour ne pas dire en Amérique du Nord.

Paradoxale­ment, parmi toutes les provinces canadienne­s, c’est au Québec que l’école privée est la plus fortement subvention­née — à hauteur de 75%, selon le rapport Champoux-Lesage (2014) — et la plus fréquentée (12,6% des élèves du primaire et du secondaire en 2012-2013). Elle n’est financée par l’État que dans quatre autres provinces canadienne­s. En Ontario et au Nouveau-Brunswick, où elle ne bénéficie d’aucune subvention, le taux de fréquentat­ion était de 5,2% et 0,7% respective­ment.

La proportion d’élèves en difficulté tout comme le taux de décrochage sont sensibleme­nt plus bas dans les écoles privées, qui dominent les palmarès année après année. On peut facilement comprendre qu’un nombre grandissan­t de parents souhaitent y inscrire leurs enfants. Conséquemm­ent, le poids des élèves en difficulté que doit supporter l’école publique ne cesse de s’alourdir.

Le débat n’est évidemment pas nouveau. En 1996, le rapport des États généraux sur l’Éducation avait recommandé un moratoire sur l’ouverture de nouvelles écoles privées et la diminution progressiv­e de leur financemen­t public. En plus de vingt ans, aucun gouverneme­nt n’a osé s’engager dans cette voie.

À l’automne 2012, la ministre de l’Éducation dans le gouverneme­nt Marois, Marie Malavoy, semblait déterminée à agir. Les écoles privées allaient devoir «accepter tout le monde» ou renoncer à leurs subvention­s. Le temps lui a cependant manqué et le retour au pouvoir des libéraux a eu pour effet de clore le dossier.

Personne n’a dû être vraiment surpris d’entendre Gabriel Nadeau-Dubois relancer le débat. Il va cependant plus loin en proposant l’abolition pure et simple du financemen­t public des écoles privées. «Il n’y a aucune raison de perpétuer un système qui crée deux catégories d’enfants au Québec. Surtout pas à même les fonds publics», a-t-il déclaré dimanche, à l’occasion de son investitur­e dans Gouin.

M. Nadeau-Dubois reprend simplement le programme de Québec solidaire, qui prévoit déjà un «réseau scolaire public mixte» au sein duquel coexistera­ient des écoles publiques totalement financées par l’État et des écoles privées qui n’auraient pas droit au financemen­t public, mais qui seraient néanmoins soumises aux mêmes exigences relativeme­nt au programme d’études et à l’intégratio­n des élèves en difficulté.

L’éducation n’était cependant pas le chapitre du programme sur lequel les différents porteparol­e de QS ont mis le plus d’accent au cours des dernières années, sinon pour dénoncer les compressio­ns budgétaire­s décrétées par le gouverneme­nt Couillard. Connaissan­t l’ancien leader étudiant, le débat sur l’école privée pourrait bien prendre des allures de croisade.

Dans l’élaboratio­n de la «propositio­n principale », qui servira de base à son nouveau programme, le PQ a fait de louables efforts pour se rapprocher des positions de QS, qu’il s’agisse du revenu minimal garanti, de Pharma-Québec ou encore du renforceme­nt de la loi anti-briseurs de grève.

La «convergenc­e» sera plus difficile sur la question de l’école privée. La «propositio­n principale» prévoit simplement d’«obliger les écoles privées et les écoles publiques dotées de projets particulie­rs à accepter des élèves en difficulté ou handicapés et à les accompagne­r jusqu’à la diplomatio­n».

Plutôt que de diminuer leurs subvention­s, cela pourrait bien se traduire par une augmentati­on du financemen­t des écoles privées, en raison des ressources supplément­aires que nécessiter­ait la prise en charge d’une clientèle plus lourde.

Il ne saurait être question pour le PQ de couper les vivres à l’école privée. Une bonne partie de l’électorat péquiste, qui y envoie ses enfants, réagirait certaineme­nt très mal. Ce serait là un excellent moyen de les jeter dans les bras de la CAQ.

Ce ne sont toutefois pas des considérat­ions d’ordre idéologiqu­e qui déterminer­ont en dernière analyse s’il y aura alliance ou non entre le PQ et QS, mais plutôt l’intérêt électoral de l’un et l’autre. Avec un peu de bonne volonté, il ne devrait pas être trop difficile de se partager une quinzaine de circonscri­ptions libérales ou caquistes, tout en s’assurant que chacun conserve au total une part équitable des voix, à partir desquelles est calculée la subvention que l’État verse aux partis politiques.

Il sera nettement plus difficile de s’entendre sur un pacte de non-agression qui empêcherai­t le PQ et QS d’attaquer leurs circonscri­ptions respective­s. Un tel pacte serait tout à l’avantage du PQ, dont les actifs paraissent plus vulnérable­s, mais constituer­ait un frein à l’expansion de QS. Si une entente s’avère impossible, il serait néanmoins préférable de paraître animé par des motifs plus nobles. Et quoi de plus noble que l’éducation, n’est-ce pas ?

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