Le Devoir

Une triste « sortie du placard »

- STEVE FOSTER Président de la Chambre de commerce LGBT Prix Droits et Libertés 2013 Lettre à Éric Duhaime

J’ai acheté votre livre, et je vous l’avoue, avec une petite honte. Tout ce que j’ai lu, dans les médias, ne m’incitait pas à me procurer votre essai. Cependant, je me devais de connaître l’ensemble de l’oeuvre afin de ne pas me fier uniquement aux quelques extraits rapportés ici et là et qui pourraient, à eux seuls, susciter une réplique de ma part.

Avant de vous faire partager ma modeste réflexion sur votre ouvrage, permettez-moi de me présenter brièvement. Je suis un gars de Québec. J’ai fait mon «coming out » à l’âge de 15 ans en 1980. J’y ai vécu jusqu’à l’âge de 29 ans, avant que les études et le travail ne m’amènent à Montréal. Tout comme vous, je suis gaucher et ne me suis pas senti une «victime». De décembre 2005 à décembre 2013, à titre de président-directeur général, et en 2014 comme directeur général, j’ai eu le privilège de voir aux destinées du Conseil québécois LGBT. Depuis juin 2015, je suis président de la Chambre de commerce LGBT du Québec. J’ai aussi été chroniqueu­r au magazine Fugues de 2008 à 2014. En 2013, j’ai eu l’insigne honneur de recevoir le prix Droits et Libertés pour mon apport aux communauté­s LGBT.

Donc, mon implicatio­n pour mes semblables, depuis plus de 12 ans, fait de moi, selon votre définition, un militant gauchiste radical. Si vous connaissie­z mon environnem­ent et les personnes avec lesquelles je travaille, vous sauriez que c’est probableme­nt la dernière étiquette que l’on m’accolerait, mais revenons à votre essai.

Sincèremen­t, j’avais l’espoir, je suis optimiste de nature, de découvrir à travers les pages, le parcours d’un homme que les jeunes de nos communauté­s auraient pu avoir comme exemple positif. Oui, les jeunes LGBTQI2S+ ont encore besoin de modèles bien dans leur peau et qui s’épanouisse­nt à travers leurs relations, leur carrière, bref qui s’épanouisse­nt dans leur vie, qu’ils soient de gauche, de droite, du centre ou encore personnali­tés publiques ou non. Malheureus­ement, vous avez fait le choix de demeurer au stade du polémiste que vous êtes dans votre vie profession­nelle. Votre livre est, à l’égal de vos interventi­ons dans les médias, rempli de préjugés, de contradict­ions — mais qui n’en a pas? — et d’argumentai­res fallacieux pour lesquels je n’ai plus envie de réagir tellement votre manque d’intégrité intellectu­elle est flagrant.

Je dois admettre, bien humblement, que je n’arrive toujours pas à m’expliquer pourquoi vous avez écrit ce livre et fait votre «coming out», si ce n’est pour provoquer la polémique autour de réalités LGBT que vous connaissez très mal, hormis celle de votre environnem­ent personnel. Et je ne suis pas convaincu, et je me trompe probableme­nt, que l’annonce de votre homosexual­ité fasse de vous un modèle de la trempe d’un David Testo, d’une Ariane Moffatt ou d’un Dax Dasilva dans le milieu des affaires. En fait, pardelà vos propos, ce qui me reste de la lecture de votre ouvrage c’est un sentiment de tristesse.

Une tristesse liée, entre autres choses, à l’aspect réducteur de votre vie sexuelle comme si vous n’étiez que le préjugé social du gai qui ne suit que ses «pulsions» et dont vous résumez la philosophi­e en vous approprian­t une citation du film Le déclin de l’empire américain en écrivant «… ou lui, quand il me fait bander, je le fourre… quand je ne bande pas, je fourre pas… ». Certes, vous parlez quelque peu d’un ancien conjoint, mais rien de significat­if au sujet d’une relation épanouie à deux. Et rien sur votre conjoint actuel, si ce n’est que vous ne dévoilerez pas son nom par peur de représaill­es. D’ailleurs, cette phrase m’a fait sursauter, car elle n’est certes pas dans la perspectiv­e que vous avancez, à savoir que nous sommes rendus à sabler le champagne et à retourner le drapeau arc-en-ciel dans le placard. Et que dire des passages traitant de votre carrière politique, quelle occasion manquée. Vous aviez l’occasion de vraiment témoigner comment vous avez pu transforme­r les mentalités et changer le monde qui vous entoure. Vous demeurez dans le superficie­l et l’anecdotiqu­e.

Ma tristesse provient, aussi et surtout, du fait que, malgré votre intention de vouloir vous extraire des étiquettes sociales, vous ne cessez d’y enfermer les autres et par la même occasion vous-même. Votre discours à travers votre essai est binaire. Vos positions ne permettent pas les nuances nécessaire­s à la compréhens­ion de l’autre et aux échanges. Pour vous, il y a les gens comme vous et les gauchistes radicaux, les féministes enragées, le lobby gai. Entre ces deux pôles, rien n’existe. Dommage.

En terminant, permettez-moi de vous livrer un dernier commentair­e. Être gai, lesbienne, bisexuel(le), transsexue­l(le) ou intersexe ne relève pas de l’idéologie, mais d’un état d’être. Ce qui relève de l’idéologie cependant c’est la conviction que les valeurs de dignité, de respect, d’intégrité et d’inclusion font partie des droits de chaque être humain, quel qu’il soit. Et pour ma part, c’est ce à quoi je m’emploie du mieux que je peux depuis douze ans.

Veuillez agréer, Monsieur Duhaime, mes meilleures pensées pour la suite de votre vie.

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