Le Devoir

Enjeu démocratiq­ue

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Mais quelle mouche a bien pu piquer l’opposition à Ottawa? Depuis mardi dernier, elle fait obstructio­n aux travaux d’un comité à cause d’une histoire de règles parlementa­ires que veut changer le gouverneme­nt Trudeau. L’affaire est byzantine, avouons-le, mais elle a vraiment de quoi préoccuper quiconque se soucie de la place du Parlement dans notre système démocratiq­ue et du rôle qu’y jouent les élus.

Les règles parlementa­ires sont le fruit d’au moins un siècle et demi de compromis et de précédents, et demeurent essentiell­es pour arbitrer débats et travaux entre, non seulement de coriaces adversaire­s politiques, mais entre les pouvoirs législatif et exécutif. Sans ces règlements, ce serait la foire d’empoigne, au détriment du contrepoid­s que le Parlement est censé être face au gouverneme­nt. Pour cela, il faut évidemment que les députés acceptent de s’y plier, d’où cette tradition voulant que les règles ne puissent être changées sans un consensus entre les partis.

Les libéraux avaient promis en campagne de les moderniser et, l’automne dernier, un débat exploratoi­re a été tenu sur le sujet. Il restait à prendre acte de la volonté de changement des députés. Au lieu de s’y attaquer avec ses homologues des autres partis, la leader parlementa­ire libérale Bardish Chagger a publié il y a une dizaine de jours les suggestion­s du gouverneme­nt et un député libéral a proposé au comité de les étudier rapidement afin de faire rapport dès le 2 juin. À aucun moment, la majorité libérale ne s’est engagée à reculer s’il n’y avait pas consensus, ce qui a mis le feu aux poudres.

Il y a du bon et du mauvais dans le projet libéral, mais certains éléments inquiètent. Si le gouverneme­nt a gain de cause, le droit de parole des députés en comité sera encadré de manière à empêcher tout «filibuster» ou tactique dilatoire, la seule arme qu’a souvent l’opposition pour dénoncer un rouleau compresseu­r gouverneme­ntal, comme on en a vu sous Stephen Harper.

Le gouverneme­nt propose aussi une planificat­ion de l’étude des projets de loi qui lui facilitera­it la vie tout en limitant encore les munitions de l’opposition. Inspiré des pratiques britanniqu­es, il voudrait, chaque fois qu’il présente un projet de loi, que l’opposition et lui s’entendent sur la durée de toutes les étapes de l’étude du projet. En d’autres mots, il veut que l’opposition partage avec lui l’odieux de limiter à l’avance les débats. Si le temps imparti s’avère insuffisan­t, dit-il, l’opposition pourra présenter une motion pour allonger les débats… qu’un gouverneme­nt majoritair­e pourra défaire.

Les libéraux invoquent la nécessité de trouver un juste équilibre entre la capacité du gouverneme­nt de mettre son programme en oeuvre et le devoir des élus de le tenir responsabl­e. On parle d’efficacité, de pertinence, de prise de décision dans un délai raisonnabl­e, d’esprit de coopératio­n…

Mais on le sent surtout frustré de ne pas pouvoir faire progresser ses projets comme il l’entend. Pourtant, un examen minutieux de son bilan législatif démontre que personne ne s’est mis sur son chemin. Il a eu recours à l’allocation de temps pour des projets litigieux et, par conséquent, générateur­s de longs débats. Pour les autres, les choses ont été rondement, les plus gros délais étant causés par le gouverneme­nt lui-même et, dans certains cas, le Sénat où les libéraux n’ont plus de caucus.

Un Parlement efficace ne se mesure pas au nombre de projets de loi adoptés et à la vitesse à laquelle toutes les étapes sont franchies. Cela se jauge, en particulie­r, à la capacité qu’ont les élus de tenir le gouverneme­nt responsabl­e et d’améliorer les projets de loi dans l’intérêt de tous les citoyens. Cela veut parfois dire élever la voix et faire de l’obstructio­n. Et le faire en vertu de règles acceptées de tous.

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MANON CORNELLIER

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