Le Devoir

McGill et Potter : le symptôme du déclin des université­s

- YVES GINGRAS Professeur au Départemen­t d’histoire à l’UQAM

Au cours des derniers jours, chroniqueu­rs et autres commentate­urs de l’air du temps se sont dépêchés de commenter la dernière actualité: le scandale provoqué par le texte d’Andrew Potter paru dans Maclean’s. La plupart ont pontifié sur la notion de «liberté universita­ire» et de «liberté de parole», mais peu semblent avoir perçu que cette affaire est peut-être le symptôme d’une maladie plus grave qui commence à envahir les université­s. Il faut rappeler en effet que ces institutio­ns sont censées être des lieux de haut savoir et de recherche, et non pas des officines pour commentate­urs inspirés par l’actualité fluctuante. On s’attend donc à ce que les têtes dirigeante­s d’instituts de recherche soient bien des chercheurs et non des commentate­urs.

Malheureus­ement, de plus en plus à court de subvention­s gouverneme­ntales permettant d’assurer une recherche rigoureuse et indépendan­te, les université­s sont forcées de se tourner vers des bailleurs de fonds privés, «philanthro­pes» courtisés qui ne sont pas toujours exempts d’idéologies personnell­es à propager sous un couvert universita­ire.

Pour les attirer, les université­s cherchent donc à accroître leur «visibilité médiatique» en imitant les médias. Suite logique de cette tendance: embaucher les gens reconnus par les médias, sans se demander si leurs discours sont bien de niveau universita­ire! Un nouveau «club des ex» parvient ainsi à se doter d’un strapontin universita­ire tout en continuant à faire le même métier qu’avant : commenter ab lib la politique ou la société canadienne ou étrangère.

Ainsi, lors de la nomination de M. Potter à titre de directeur du McGill Institute for the Study of Canada (MISC) en janvier 2016, le communiqué de presse insistait sur le fait qu’il avait « une visibilité à l’échelle nationale comme commentate­ur politique et culturel», et que «sa réputation d’intellectu­el en vue au Canada et son expérience de rédacteur en chef d’un grand journal sont des atouts indéniable­s pour diriger l’Institut ».

Or, rien dans cette trajectoir­e, par ailleurs respectabl­e de journalist­e et «d’intellectu­el», ne correspond aux habitus attendus d’un chercheur universita­ire qui veut analyser avec méthode et précision un phénomène social. Tout au contraire, les habiletés de M. Potter sont bien celles d’un journalist­e qui commente l’actualité au gré de ses sentiments et impression­s plus ou moins fugaces.

Le problème que soulève son interventi­on délirante n’est pas celui de la liberté d’expression — car il peut bien écrire ce qu’il veut dans les feuilles de chou de son choix —, mais bien celui que ses propos sont incompatib­les avec le poste qu’il occupait: il n’était plus commentate­ur politique dans un journal anglophone qui doit bien faire plaisir à ses lecteurs, mais directeur d’un centre universita­ire censé étudier la société canadienne, ce qui est tout à fait différent. L’erreur de jugement aura consisté à le nommer à ce poste, oubliant au passage la spécificit­é de la recherche universita­ire, transformé­e en simple production «d’essais» pseudo-savants qui cachent mal des ressentime­nts qui relèvent davantage du domaine de la consultati­on psychologi­que que de celui de l’analyse sociologiq­ue d’une société.

À ceux qui insistent sur le fait qu’il s’est « excusé», comme si cela effaçait la faute, rappelons qu’il faut plutôt expliquer un tel dérapage de la part d’un soi-disant expert de la société canadienne.

Dans sa lettre de démission, publiée seulement en anglais, M. Potter affirme curieuseme­nt regretter son usage de «sloppy anecdotes, its tone, and the way it comes across as deeply critical of the entire province». Il ajoute que cela n’était pas son intention et ne reflète pas ses opinions sur le Québec et il se dit avoir le coeur brisé (heartbroke­n) que la situation ait évolué de cette façon.

À la lecture d’une telle lettre, on peut se demander si c’est bien lui ou son inconscien­t social qui a rédigé le texte paru dans Mac le an’ s.Quoiqu’ i lens oit, on peut sérieuseme­nt s’ interroger sur la qualité de la formation universita­ire qu’ un tel« professeur» peut prodiguer à ses étudiants et ses étudiantes, alors qu’il admet lui-même ne pas contrôler sa propre écriture. Qu’aurait-on pu entendre dans une salle de classe si le tout avait été seulement oral, sachant que ce qui sort spontanéme­nt de la bouche dépasse souvent la « pensée » ?

 ?? PAUL CHIASSON LA PRESSE CANADIENNE ?? Les université­s (comme ici, McGill) sont censées être des lieux de haut savoir et de recherche, et non pas des officines pour commentate­urs inspirés par l’actualité fluctuante, écrit l’auteur.
PAUL CHIASSON LA PRESSE CANADIENNE Les université­s (comme ici, McGill) sont censées être des lieux de haut savoir et de recherche, et non pas des officines pour commentate­urs inspirés par l’actualité fluctuante, écrit l’auteur.

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