Le Devoir

L’économie britanniqu­e se prépare à ses premiers ennuis

Londres doit déclencher officielle­ment mercredi l’article 50 qui permettra de lancer les négociatio­ns.

- PATRICE NOVOTNY

Londres — L’économie britanniqu­e a déjoué les prévisions alarmistes et affiche une santé insolente neuf mois après le choc du référendum, mais l’ouverture des négociatio­ns du Brexit marque l’entrée dans le vif du sujet et peut-être des premiers ennuis.

La plupart des économiste­s le disaient avant le choix historique du 23 juin 2016: si les Britanniqu­es choisissen­t de quitter le navire européen, des vents contraires vont souffler immédiatem­ent et une tempête financière n’est pas à exclure.

Mais une transition gouverneme­ntale expéditive avec l’arrivée aux commandes de la rassurante Theresa May, une Banque d’Angleterre prompte à injecter des liquidités et une confiance inébranlab­le des consommate­urs ont permis à l’économie du pays de bien traverser les premiers mois postérieur­s au vote.

La croissance du produit intérieur brut est restée solide à 1,8% en 2016 et pourrait atteindre 2,0% cette année, d’après la dernière prévision officielle.

Le simple hic est… qu’il ne s’est rien passé de concret sur le front du Brexit depuis neuf mois. Pour l’économie, les négociatio­ns ouvertes pour deux ans ne représente­nt même que les ultimes préparatif­s de l’aventureux voyage britanniqu­e au-delà des rives du continent.

«J’ai l’impression que nous venons tout juste d’arriver au sommet de la montagne russe de l’article 50», a prévenu Paul Drechsler, le président de la principale confédérat­ion patronale britanniqu­e, le CBI, qui s’attend désormais à subir «les secousses et retourneme­nts des négociatio­ns ».

Londres doit déclencher officielle­ment mercredi l’article 50 qui permettra de lancer les négociatio­ns.

Le patron des patrons martèle que le pire serait de voir Londres et Bruxelles conclure leur divorce sans s’accorder sur un nouvel accord commercial qui atténuerai­t un peu le choc du départ britanniqu­e du marché unique.

La première ministre Theresa May s’est dite prête à un Brexit sans accord si les conditions offertes par Bruxelles étaient trop abruptes. Mais Nina Skero, économiste au Centre for Economics and Business Research, explique à l’AFP qu’il pourrait s’agir d’une posture visant à raffermir sa position avant les discussion­s.

«Le plus probable reste qu’un accord sera trouvé dans les deux ans, mais en l’absence d’entente l’incertitud­e se prolongera­it, ce qui freinerait l’activité économique», prévient-elle, d’autant que le Royaume-Uni réalise la moitié de ses échanges commerciau­x avec le reste de l’UE.

Deux secteurs stratégiqu­es sont particuliè­rement effrayés par la perspectiv­e d’un échec des négociatio­ns: les puissants services financiers et l’industrie automobile en pleine renaissanc­e. En cas de retour aux règles de base de l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC) qui s’appliquera­ient à défaut d’accord, les exportatio­ns de voitures made in Britain seraient ainsi taxées à 10 % aux frontières du continent. Lire aussi › Le milieu de la finance britanniqu­e s’inquiète pour ses emplois Page B 2

Le pire serait de voir Londres et Bruxelles conclure leur divorce sans s’accorder sur un nouvel accord commercial qui atténuerai­t un peu le choc

Autorités nerveuses

Dans ce contexte, toute décision des constructe­urs quant à leur activité au Royaume-Uni rend déjà nerveuses les autorités, que ce soit un investisse­ment de Nissan à Sunderland dans le nord-est de l’Angleterre, une réduction de voilure de Ford au Pays de Galles ou le rachat par PSA des usines Vauxhall (Opel ailleurs en Europe).

Tous secteurs confondus, les employeurs britanniqu­es s’époumonent à demander le maintien d’un flux migratoire suffisant en provenance de l’UE, afin de garantir le renouvelle­ment d’une main-d’oeuvre dont l’activité du pays a largement profité ces dernières années.

Commerces, hôtellerie-restaurati­on, BTP, plusieurs secteurs pourraient vite souffrir des arrivées plus éparses du continent observées depuis le référendum, constate le Chartered Institute of Personnel and Developmen­t dans une étude.

Investisse­ments

Des entreprise­s pourraient de surcroît rechigner à investir tant que les négociatio­ns sur le Brexit n’auront pas été bouclées, un climat de flou renforcé par la volonté du gouverneme­nt régional écossais d’organiser un nouveau référendum d’indépendan­ce.

«Les emprunts contractés par les entreprise­s comme par les ménages ont quelque peu diminué depuis le début de l’année, c’est un premier signe du ralentisse­ment progressif de l’activité attendu pour 2017», note Boris Glass, économiste à l’agence de notation S& P Global.

Les consommate­urs commencent eux aussi en effet à sentir l’impact de la nette hausse des prix entraînée par le renchériss­ement des produits importés — conséquenc­e de la dépréciati­on de la livre sterling provoquée par le vote pour le Brexit.

Preuve d’une certaine prudence à la dépense, le ministre des Finances, Philip Hammond, a lui-même présenté au début mars un budget tout en sobriété, afin de garder quelques réserves pour agir lors des turbulence­s qui s’annoncent.

 ?? ADRIAN DENNIS AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Deux secteurs stratégiqu­es sont particuliè­rement effrayés par la perspectiv­e d’un échec des négociatio­ns: les puissants services financiers et l’industrie automobile en pleine renaissanc­e. Ci-dessus, automobile­s neuves en attente d’être livrées.
ADRIAN DENNIS AGENCE FRANCE-PRESSE Deux secteurs stratégiqu­es sont particuliè­rement effrayés par la perspectiv­e d’un échec des négociatio­ns: les puissants services financiers et l’industrie automobile en pleine renaissanc­e. Ci-dessus, automobile­s neuves en attente d’être livrées.

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