Le Devoir

Rompre avec la tradition

Dans Noces, l’actrice française Lina El Arabi incarne une jeune femme assoiffée de liberté

- MANON DUMAIS Collaborat­rice

Étudiante en journalism­e, férue de politique, l’actrice française Lina El Arabi ne choisit pas ses rôles à la légère. Dans le téléfilm Ne m’abandonne pas de Xavier Durringer, elle incarnait une jeune fille se préparant à rejoindre son nouvel époux djihadiste en Syrie. Pour son premier grand rôle au cinéma, elle prête ses traits à Zahira, Belge d’origine pakistanai­se contrainte par sa famille à un mariage arrangé.

«À la base, je suis quelqu’un de plutôt engagé. Si je n’étudiais pas en journalism­e, je serais militante, distribuer­ais des tracts, collerais des affiches. Comme je ne peux pas le dire dans mes articles, je fais ressentir mon engagement dans les rôles que je choisis», racontait Lina El Arabi lors de son passage à Montréal.

«Zahira, c’est une héroïne, une Antigone des temps modernes, celle qui a dit non, poursuit l’actrice. J’aime bien les causes perdues. Par exemple, je me suis hyper intéressée au conflit israélo-palestinie­n, car selon moi, il n’y a pas d’issue. L’histoire de Zahira m’a fascinée parce qu’il n’y a pas de réponse facile à devoir choisir entre sa liberté et sa famille.»

Histoire de famille

Troisième long métrage de Stephan Streker (Le monde nous appartient), Noces met en scène les Kazim, une famille aimante et unie, qui semble s’être bien intégrée dans la société belge tout en ayant su préserver les traditions pakistanai­ses. Très liée à son frère Amir (Sébastien Houbani), Zahira compte sur lui pour faire comprendre à leurs parents qu’elle refuse d’épouser quiconque des trois prétendant­s qu’ils lui proposent.

Le récit de Streker s’inspire librement de l’affaire Sadiah Sheickh, jeune fille victime d’un crime d’honneur en 2007: «Ç’aurait été facile pour Stephan de montrer les parents sous un

mauvais jour parce que dans la vie, ils n’étaient pas sympas. Il a policé leur image afin de montrer que le coeur du film, c’est l’amour. Mais jusqu’où cet amour peut-il nous mener ? »

L’une des scènes marquantes de Noces réunit Zahira et sa soeur aînée Hina (Aurora Marion), elle-même mariée de force à un inconnu par ses parents. Bien qu’elle prétende y avoir trouvé le bonheur, Hina reconnaît l’injustice faite aux femmes.

«Pour une féministe, ça fait mal, mais c’est tellement vrai ! Dans Noces, chaque personnage qui prend la parole est sincère. Je suis sûre qu’Hina est sincère quand elle dit qu’elle aime son mari. C’est vrai pour plein de femmes dans plein de pays, même des pays occidentau­x. Je me sens plus libre qu’elles, mais qu’est-ce que la liberté au fond?»

Au-delà du fait de donner une voix à ces femmes brimées, Lina El Arabi a l’impression de faire oeuvre utile: «Ce que j’aime dans ce genre de cinéma, c’est qu’on ne le vit pas que sur son siège. On le vit après en continuant à se poser des questions, en se mettant à la place des personnage­s. En tant que spectatric­e, c’est une démarche que j’aime bien car cela fait appel aux tripes et au cerveau.»

Fière féministe

Se désolant de la montée de l’extrême droite

en France, Lina El Arabi montre du doigt le Front national qui veut abolir le droit à l’avortement et couper dans les subvention­s à la planificat­ion familiale.

«Il y a une libération de la parole antifémini­ste, raciste aussi, c’est fou! On entend des choses qu’on n’aurait pas pu dire il y a dix ans. Il y a de plus en plus de femmes qui se disent antifémini­stes et ça, je ne comprends pas ! D’autres prennent la situation de la femme comme une fatalité et n’osent plus se battre. Au contraire, il ne faut pas avoir honte d’être féministe. Moi, ça ne me fait pas peur parce que j’ai une forte personnali­té et une grande gueule. Le fait de continuer mes études me permet de me remplir le cerveau.»

Au fait, que choisira-t-elle entre le journalism­e et sa carrière d’actrice? «En ce moment, je serais incapable de choisir parce que ce sont deux choses qui me remplissen­t, qui sont très complément­aires. J’ai besoin du journalism­e parce que c’est ma manière de me battre contre tout ce que je vois autour de moi, de savoir ce qui se passe. En sachant ce qui m’arrive, j’ai l’impression de moins me faire avoir, je me sens un peu moins victime. »

 ?? ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR ?? Avec son bagage d’étudiante en journalism­e, Lina El Arabi ne choisit pas ses rôles à la légère.
ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Avec son bagage d’étudiante en journalism­e, Lina El Arabi ne choisit pas ses rôles à la légère.

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