Le Devoir

Se mirer sur le Web

La pièce Noyade(s) revisite Sedna et Narcisse pour traiter de la cyberintim­idation

- MARIE FRADETTE Le Devoir Collaborat­rice

De Narcisse à Shakespear­e, jusqu’aux personnage­s contempora­ins de Simon Boulerice, l’adolescenc­e joue sur les mêmes thématique­s, valsant entre amour, insécurité, jalousie, etc. Mais alors qu’autrefois l’identité se construisa­it essentiell­ement entre intimité et vie sociale, elle est devenue aujourd’hui indissocia­ble d’une identité numérique, glissement au coeur de la pièce Noyade(s) qui dépoussièr­e le thème fondateur et intemporel de l’identité.

Créée en 2014 par JeanFranço­is Guilbault et Andréanne Joubert, la pièce qui reprend l’affiche à la Maison Théâtre à partir du 5 avril plonge les adolescent­s au coeur de la cyberintim­idation. Dans une mise en scène qui met en relief la tension entre ce qui est privé et ce que l’on accepte d’exhiber sur le Web, Noyade(s) souligne la porosité de cette frontière. Joint au téléphone, le directeur de la compagnie Samsara Théâtre explique qu’il était important pour lui d’aller plus loin que l’effet de mode, de sortir des sentiers battus.

«Andréanne et moi, on voulait juste parler de l’identité virtuelle, puis, au moment où on écrivait Noyade(s), il y a eu plein de sorties médiatique­s sur des cas de jeunes qui se sont fait intimider, alors on s’est dit qu’on ne pouvait pas éviter le sujet, mais sans en faire le centre de la pièce. Ainsi, le personnage de l’intimidé est incarné sur scène par une image projetée sur les murs. On fait un peu l’anatomie de ce qui a mené à la cyberintim­idation et au suicide de cette personne-là. Sans jamais nommer le geste, même si on le comprend à la fin. »

Inspirés du mythe de Narcisse et de la légende de Sedna, Guilbault et Joubert jouent beaucoup sur la métaphore en transposan­t la noyade vécue par ces deux personnage­s dans le contexte virtuel d’aujourd’hui. « Narcisse se noie dans son propre reflet. Sedna se fait noyer par son père et devient la déesse de la mer. Ces deux noyades sont deux transforma­tions vers quelque chose de meilleur. Comment transposer ça aujourd’hui? L’écran d’ordinateur représente leur reflet, celui de ces jeunes qui se mirent. C’est comme s’ils se noyaient sur le Web, se sentant étouffés et cherchant leur air dans cette mer virtuelle.»

De tous les temps

L’idée de recourir aux légendes et mythes anciens a pour but de démontrer aux jeunes que la question de l’identité est de tous les temps. Le «s» présent dans le titre symbolise cette communauté noyée dans le virtuel. « Ce sentiment d’oppression ressenti par les personnage­s correspond à une noyade. Chacun se noie à sa façon », souligne l’auteur.

Pour Jean-François Guilbault, la rencontre avec les jeunes témoigne de cette réalité. « J’ai donné beaucoup d’ateliers dans les écoles secondaire­s et quand je demande qui n’a pas de profil Facebook, ou qui n’est pas actif sur Twitter, Snapchat, Instagram, il n’y a aucune main qui se lève. Je ne pense pas que tout le monde vit de la cyberintim­idation ou en fait, mais tout le monde a à composer avec la tension entre créer sa propre identité avec le groupe dans lequel on évolue à l’école et créer son identité virtuelle avec un autre groupe de gens infini, inconnu, de visages anonymes. »

Entre l’illusion d’une vie privée et la recherche d’une identité virtuelle idéalisée, un paradoxe habite cette pièce construite sur l’obsession d’un idéal à atteindre. Non sans rappeler les responsabi­lités qui incombent à tous dans une communauté. « Ce n’est pas toujours les gens qui ont l’air d’intimidate­urs qui le sont tout comme ce n’est pas toujours ceux qui ont l’air de victimes qui le sont. On voulait sortir des clichés. À la fin de la pièce, on laisse les jeunes sur des questions: Qui est coupable ici? Qui a commis des gestes fautifs? Ceux qui ont agi ou ceux qui n’ont pas agi ? Tout le monde a sa part de responsabi­lité, et la culpabilit­é est partagée par tout le monde.» NOYADE(S) Écriture et mise en scène: JeanFranço­is Guilbault et Andréanne Joubert. Public cible: 12-17 ans. Présenté à la Maison Théâtre du 5 au 12 avril.

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GAUTHIER MIGNOT L’idée de recourir aux légendes et mythes anciens a pour but de démontrer aux jeunes que la question de l’identité est de tous les temps.

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