Le Devoir

La prochaine chicane

- MICHEL DAVID mdavid@ledevoir.com

D’un point de vue journalist­ique, le fédéralism­e canadien est une véritable bénédictio­n. Il y a toujours une chicane en cours ou en gestation.

La poussière retombe à peine sur le litigieux dossier du Transfert canadien en santé (TCS) qu’une nouvelle pomme de discorde point à l’horizon: qui va assumer ce que va inévitable­ment entraîner la légalisati­on de marijuana, qu’il s’agisse de santé ou de sécurité publique ?

Le nouvel enfant terrible de la fédération et premier ministre de la Saskatchew­an, Brad Wall, semble déjà prêt à en découdre avec Ottawa. « Il y aura des coûts accrus pour protéger [la population] contre les conducteur­s affectés par la marijuana et nous avons indiqué au gouverneme­nt fédéral qu’on s’attend à ce qu’ils paient pour tous les coûts de ces mesures, que ce soit la technologi­e ou la présence accrue de policiers, ou les deux », peut-on lire dans un communiqué gouverneme­ntal diffusé plus tôt cette semaine à Régina.

À Québec, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, qui a encore sur le coeur le high five de sa vis-à-vis fédérale, Jane Philpott, appréhende déjà les conséquenc­es du projet de loi que le gouverneme­nt Trudeau s’apprête à présenter et de la réglementa­tion qui l’accompagne­ra. Il était d’ailleurs très mécontent d’apprendre de la bouche des journalist­es que la Chambre des communes serait saisie du projet de loi dans la semaine du 10 avril.

«Au lendemain de ça, c’est nous, les provinces, qui allons être prises avec. Alors, c’est une réalité. C’est comme en patinage artistique: ça s’appelle une figure imposée. Je n’ai pas de talent en patinage artistique», a-t-il lancé.

En effet, M. Barrette n’a pas vraiment le physique de l’emploi, mais on ne peut certaineme­nt pas lui reprocher un manque de pugnacité. Il a peut-être perdu son bras de fer avec Mme Philpott, mais il est quand même rafraîchis­sant de voir quelqu’un dans ce gouverneme­nt tenir tête à Ottawa.

D’un naturel moins belliqueux, le premier ministre Couillard s’est montré plus mesuré dans ses propos. Il ne tient pas non plus à «se faire pousser une gamme de responsabi­lités très

coûteuses et très lourdes», mais il préfère voir le projet de loi avant de réagir. M. Couillard a déjà expliqué qu’il avait le « devoir » de s’entendre avec son homologue canadien et il donne souvent l’impression d’être prêt à tous les compromis pour y arriver.

Il est vrai qu’il est actuelleme­nt très difficile d’évaluer les coûts que la légalisati­on de la marijuana engendrera pour les provinces, mais le Colorado a vu le nombre d’accidents de la route et les hospitalis­ations d’urgence attribuabl­es au cannabis augmenter de façon importante après la légalisati­on.

Il faut dire qu’il y aura aussi des revenus pour les provinces, surtout si elles se chargent ellesmêmes d’encadrer la commercial­isation. Dans une étude publiée en décembre dernier, l’Institut de recherche et d’informatio­n socio-économique­s (IRIS) chiffrait la valeur du marché québécois de la marijuana récréative à 1,3 milliard. Il évaluait à 457 millions le dividende que l’État pourrait en tirer si la commercial­isation était confiée à la Société des alcools du Québec.

La «propositio­n principale» qui sera soumise au congrès du PQ en septembre prochain recommande que le mandat de la SAQ soit étendu à la vente de la marijuana, mais le ministre des Finances, Carlos Leitão, dont elle relève, ne s’est jamais montré très chaud à cette idée.

Comme chaque année, le budget qu’il a présenté mardi comportait une annexe faisant le point sur les transferts fédéraux, qui reprenait les doléances du Québec relativeme­nt à la contributi­on fédérale au financemen­t des soins de santé et des programmes sociaux, de même qu’au calcul de la péréquatio­n.

Au cours des récentes négociatio­ns sur le TCS, le gouverneme­nt Trudeau n’a tenu aucun compte des arguments des provinces qui réclamaien­t le maintien de l’augmentati­on annuelle de 6% que le gouverneme­nt Martin avait consentie en 2004.

Malgré l’échec que les provinces ont encaissé, M. Leitão a réitéré dans son discours qu’Ottawa devait prendre en compte les pressions sur les finances provincial­es qui proviennen­t de la croissance des dépenses de santé que le Conference Board a évaluées à 5,2% par année pour la période 2015-2025.

De toute évidence, la légalisati­on de la marijuana va encore ajouter à ces pressions. Gaétan Barrette se voulait de bonne humeur mardi, même si l’augmentati­on de 4,2% du budget de son ministère demeure inférieure aux «coûts de système». Il y a tout de même des limites à étirer l’élastique. Autant qu’il semble futile de vouloir convertir M. Barrette au patinage artistique.

Difficile d’évaluer quels coûts la légalisati­on de la marijuana engendrera pour les provinces

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