Culture et religion, un mariage de raison
La Médiathèque Gaëtan Dostie emménage à l’église Saint-Enfant-Jésus
La religion et la poésie peuventelles cohabiter? L’expérience le dira, puisque le petit musée de la poésie qu’est la Médiathèque Gaëtan Dostie a entamé son emménagement dans le sous-sol du presbytère et de l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile-End, sise coin Saint-Dominique et Saint-Joseph, à Montréal. «Le patrimoine religieux, c’est notre patrimoine à nous, s’enflammait hier le collectionneur Gaëtan Dostie en entrevue au Devoir. Ici, on n’a pas construit des châteaux de Versailles, mais des églises. Comment les sauver, les préserver, comment les garder comme des lieux vivants, en défendant aussi le lieu de culte?» Le fondateur de la Médiathèque croit que des alliances avec le milieu culturel pourraient être une des possibles réponses.
Le millier de divers artefacts poétiques de la collection — oeuvres, manuscrits, photos, pochettes de disque, livres, meubles — n’était plus accessible au public depuis la fermeture des portes du 1214, rue de la Montagne, pour cause de désuétude de l’immeuble. L’édifice, appartenant à la Commission scolaire de Montréal, aura accueilli la Médiathèque de 2009 à octobre 2016.
Quatre-vingts pour cent de la bibliothèque a déjà été déménagée au sous-sol de l’église du Mile-End, et le reste des biens — essentiellement des gros meubles — devrait suivre d’ici quelques jours. «Le lieu est beaucoup plus petit, explique M. Dostie. Je ne sais pas encore si tout va rentrer. Le gros de la bibliothèque et les archives vont rentrer. Les meubles vont peut-être poser problème. Mais pour l’instant on n’a pas du tout d’espace d’exposition, qui reste à négocier.»
Éventuellement, rêve M. Dostie, les expositions se feraient dans l’église même, soit en divisant l’espace, soit en créant un déambulatoire qui reprendrait la forme originale de cette église de 1858 — la 17e construite à Montréal selon le Répertoire d’architecture traditionnelle (Communauté urbaine de Montréal) —, érigée par Victor Bourgeau, et affublée dès 1898 d’une nouvelle façade de Joseph Venne. Ce genre de partage à l’étage serait une première ici. Ni le prêtre ni l’archevêché de Montréal n’ont toutefois répondu aux demandes de confirmation du Devoir sur ce potentiel partage de l’espace de culte.
Le collectif La Passe, qui fait dans l’édition, l’événementiel et la revitalisation culturelle, reste colocataire de la Médiathèque et assurera les animations, qui pourraient débuter dès le printemps, selon Philippe Blouin. « On est les premiers locataires à arriver dans ce lieu, précise Gaëtan Dostie. Dans un premier temps, on va avancer 1000$ par mois, mais pour toutes activités à revenu, on ajoutera un pourcentage de 10% au loyer. Il devrait y avoir beaucoup d’activités qui vont s’organiser.»
À l’index?
Gaëtan Dostie s’est toujours présenté comme un esprit farouchement indépendant. Lui qui est fier de conserver certaines pages manuscrites avec collages plus qu’osés de Josée Yvon, entre autres, acceptera-t-il de penser ses expositions afin qu’elles côtoient et servent même d’écrin à la prière et à la contemplation? « Il y a moyen de travailler avec respect sans que ça devienne de la propagande ni d’un côté, ni de l’autre. Mais c’est sûr qu’on veut exposer un jour le Refus global. Est-ce que ce sera un élément de contradiction? Ou une simple question posée de cette façon? Je pense que la société a suffisamment évolué pour qu’on puisse aborder ces questions-là. Alors oui, c’est une cohabitation qui devrait être aisée.»
La nouvelle de l’emménagement à Saint-Enfant-Jésus a été dévoilée lors du vernissage de l’exposition Refus, dissidence et renouveau: une incursion dans la médiathèque littéraire de Gaëtan Dostie, pensée, montée et présentée au Collège Montmorency. De concert, les départements de Techniques de muséologie et de Français et de littérature ont travaillé avec la Médiathèque. «On a élaboré l’ensemble de l’exposition, physiquement », explique la professeure en muséologie Karine L’Écuyer.
«On a tout fait selon les règles de l’art avec les étudiants : élaboration et fabrication du mobilier de mise en valeur, déplacement des oeuvres — manipulation avec les gants, dépoussiérage au pinceau fin et aspirateur avec filtre —, belle mise en vitrine avec de beaux supports, textes et thèmes par les profs de français. Plusieurs des profs de français ont inscrit cette visite à leur cours, qui devient un support pédagogique.»
Si les apprentis techniciens en muséologie ont chaque année l’occasion de travailler avec de réels artefacts, c’est la première fois que le collège s’investit autant dans une exposition, et l’accueille en ses murs — jusqu’au 27 avril. « On a créé l’expo pour qu’elle soit ouverte au grand public, en espérant qu’elle devienne itinérante, lance Mme L’Écuyer. Et ça permet à une expo de vivre pendant que la Médiathèque est dans le no man’s land du déménagement. »
Parmi les 102 artefacts présentés, Mme L’Écuyer est touchée par l’exemplaire du Refus global de Claude Gauvreau, une pièce selon elle exceptionnelle. Mais également par la photo de la poète et peintre Suzanne Meloche. «En ce moment, plusieurs étudiants ici lisent La femme qui fuit [d’Anaïs Barbeau-Lavalette, Marchand de Feuilles], ça les touche tout particulièrement. Et ça nous montre que notre idée d’une expo qui croise la muséologie, la littérature, le pédagogique semble bonne. »
Ce projet ponctuel pourrait-il revivre autrement ? «Pour l’instant, c’est le seul envisagé. Mais ça offre d’énormes possibilités: on pourrait faire plein de projets avec la Médiathèque…», espère la professeure.
Alors que le printemps et le soleil se pointent sur Montréal, Gaëtan Dostie rêve tout haut d’animations « sur la place publique, d’événements sur le parvis de l’église, d’une kermesse littéraire en plein air, avec messe de grand apparat au mois d’août. On pourrait proposer chaque jour de la vie sur les lieux; et je pense que ce peut être un plus pour tout le monde, et pour le quartier».
Une partie de la réponse repose dans les mains de l’archevêché de Montréal.