Le Devoir

La bataille des plaines d’Abraham, selon Georges St-Pierre

La série historique de la CBC suscite une vive polémique dans l’est du pays

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU

Un tollé qui révèle un Canada divisé : tel est l’accueil qu’a reçu la diffusion du premier épisode du feuilleton historique diffusé par CBC à l’occasion du 150e anniversai­re de la Confédérat­ion.

Après la diffusion d’un seul chapitre de Canada: The Story of Us, l’émission suscitait déjà l’indignatio­n. Une deuxième livraison a été présentée dimanche dernier. Elle présente l’exploitati­on des ressources naturelles comme la clé expliquant la naissance d’« entreprene­urs » assimilés à des figures de « héros ».

De vives protestati­ons à la suite de la première présentati­on sont venues notamment du côté des Acadiens. Car l’Acadie est pour ainsi dire absente de cette série qui avance par une accumulati­on de fragments très sélectifs. La

page Facebook de CBC a vite été inondée de commentair­es l’invitant à refaire ses devoirs du côté de l’histoire.

Dans The Story of Us, l’habitation de Samuel de Champlain à Québec est présentée comme la première colonie permanente européenne au pays. En 1608, Champlain s’était installé avec ses compagnons là où se trouve aujourd’hui Québec. Mais dès 1605, pourtant, le même Champlain était installé à Port-Royal, en Nouvelle-Écosse. Son établissem­ent survivra jusqu’à son démantèlem­ent brutal par les Anglais en 1613. Indigné, le maire d’Annapolis Royal, Bill MacDonald, parle de cette série comme d’« une fausse représenta­tion de l’histoire du Canada » qui justifie à son sens « une campagne pour mettre les choses au clair». Le journal L’Acadie nouvelle a rapporté plusieurs autres propos indignés.

Un point de vue

Le quotidien The Globe and Mail a publié dimanche une lettre ouverte d’un collectif d’universita­ires québécois outrés eux aussi par la série. Dans leur lettre envoyée au journal torontois, les universita­ires n’y vont pas avec le dos de la cuillère. D’entrée de jeu, ils affirment que les omissions du premier épisode et le sommaire des suivants laissent présager le pire.

Quelque 12 000 ans d’histoire amérindien­ne ont été condensés en quelques minutes seulement, reprochent les universita­ires. Par ailleurs, la perspectiv­e qui se dégage de l’ensemble est essentiell­ement celle du Canada anglais, obser vent-ils. « Chaque spécialist­e interrogé devant la caméra est un anglophone.»

Plutôt que de miser sur des spécialist­es et des perspectiv­es historique­s à jour, la série s’appuie largement sur la participat­ion de plus de cent vedettes pour mousser sa popularité. Parmi cette brochette de stars, on trouve seulement deux francophon­es dans le premier épisode, soit la danseuse Louise Lecavalier et le champion d’arts martiaux mixtes Georges St-Pierre. Les commentair­es de ce dernier ont été sollicités pour expliquer la bataille des plaines d’Abraham, où se sont affrontées, le 13 septembre 1759, les armées des généraux Wolfe et Montcalm. «C’est très important d’utiliser la surprise, explique St-Pierre, parce que c’est ce que vous ne voyez pas arriver qui vous met au plancher.»

Qui plus est, les universita­ires notent que la série représente systématiq­uement les figures historique­s françaises de manière désobligea­nte. Par contraste, les figures anglophone­s apparaisse­nt toujours tirées à quatre épingles. Le général Wolfe, pourtant raillé pour sa bêtise lors du siège de Québec par l’un de ses proches, le major George Townsend, est présenté comme un officier rusé et intelligen­t, parvenant en haut du cap Diamant comme s’il sortait de chez le tailleur. «C’est comme si le pouvoir civilisate­ur des Anglais venait de leur raison et de leurs moeurs supérieure­s, tandis que les Français sont sans cesse dépeints comme vicieux, traîtres et sales.»

L’appui de Trudeau

La série présentée par le télédiffus­eur public commence avec une longue présentati­on du premier ministre Justin Trudeau lui-même. Spécialist­e des représenta­tions de l’histoire à la télévision, l’historien Olivier Côté affirme en entrevue au Devoir qu’il s’agit de quelque chose de particulie­r de voir M. Trudeau, le chef du gouverneme­nt, présenter ainsi une série. «À ma connaissan­ce, c’est une première pour une série historique du genre.» Bien qu’il réserve ses commentair­es dans l’attente de voir d’abord la série au complet, l’historien observe qu’une perspectiv­e volontaris­te préside visiblemen­t au scénario: « Comme dans Le Canada, une histoire populaire, on fait des autochtone­s les premiers Canadiens et on crée un récit que l’on insère dans une trame narrative avec l’intention de donner du sens autour de l’idée préalable que le pays est multicultu­rel. »

Les reproches ont fusé de partout, à un point tel que l’un des deux piliers de la série a cru bon s’expliquer. «On a dû choisir des histoires et, inévitable­ment, on n’a que 50 histoires, il y a certaines parties qui ont été omises», a expliqué à Radio-Canada John English, qui est, avec l’artiste autochtone Gerald McMaster, un des deux rédacteurs de ce docudrame de dix heures.

Ancien député du Parti libéral fédéral, John English est notamment l’auteur, à titre d’historien, d’une biographie en deux tomes de Pierre Elliott Trudeau rédigée à la demande de la famille. Il est membre de la Fondation Trudeau depuis 2003. English a aussi publié une biographie du premier ministre libéral Lester B. Pearson et est membre de la Société royale du Canada. Le 30 juin dernier, il a reçu le titre d’officier de l’ordre du Canada des mains du représenta­nt de la reine.

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CBC Scène tirée de la série «Canada: The Story of Us»

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