Le Devoir

AUJOURD’HUI

- PHILIPPE PAPINEAU

Culture › Protéger la démocratie. La commission Charbonnea­u a commencé ses travaux lundi en entendant notamment les dirigeants de Radio-Canada,

«La chasse aux sources, c’est du quatre saisons au Québec, et c’est un grave problème démocratiq­ue » ,a lancé le directeur du Devoir, Brian Myles, aux côtés des patrons de Radio-Canada et de La Presse, lors du premier jour des audiences de la commission Chamberlan­d, qui enquête sur la protection de la confidenti­alité des sources journalist­iques.

Les trois médias ont souligné le fait que, dans le système actuel, la presse est tenue dans l’ombre quand un policier fait une demande auprès d’un juge de paix pour avoir accès à des informatio­ns sur les sources d’un reporter. «On n’est même pas représenté­s »,a déploré Éric Trottier, éditeur adjoint du quotidien La Presse.

Rappelons que la Commission d’enquête sur la protection de la confidenti­alité des sources journalist­iques a été mise sur pied par le gouverneme­nt du Québec en novembre dernier après que des cas de surveillan­ce de journalist­es par la police ont été révélés.

Pour Brian Myles, la surveillan­ce «a plus été faite pour débusquer les taupes que pour faire déboucher les enquêtes». Selon lui, les membres des médias ont servi de cheval de Troie pour identifier «des gens qui parlaient un peu trop ».

En amont du passage des patrons de presse, l’ancien secrétaire général de la Fédération profession­nelle des journalist­es du Québec (FPJQ), Claude Robillard, avait expliqué que, la plupart du temps, les travailleu­rs ou les fonctionna­ires coulant des informatio­ns aux médias le font car ils sont indignés «face à quelque chose qui révolte leur sens moral», ou pour éviter qu’une situation problémati­que ne se reproduise.

Après que la surveillan­ce policière de journalist­es, comme Patrick Lagacé de La Presse ou Marie-Maude Denis à Radio-Canada, a été rendue publique, de nombreuses sources confidenti­elles se sont tues, a expliqué Michel Cormier, directeur général de l’informatio­n à la société d’État. « C’est excessivem­ent dommageabl­e, des gens vivent dans la hantise que leur nom soit dévoilé. On se sent moralement liés à eux, et pour des raisons externes, on sent qu’on ne peut pas respecter ça. Ce sont des sources qui se sont taries. »

MM. Trottier, Myles et Cormier ont souligné les risques majeurs que prenaient les sources, souvent dans le but de faire avancer la démocratie. «Neuf fois sur dix, les gens veulent dénoncer une situation inadmissib­le dans leur milieu de travail », a expliqué Éric Trottier.

«Une échappatoi­re»

« Parler aux bonnes personnes devient difficile», a expliqué Claude Robillard. Selon celui qui a passé plus de 25 ans à la FPJQ, le contrôle de plus en plus étanche de l’informatio­n

par les départemen­ts de communicat­ion explique le recours aux sources confidenti­elles par les journalist­es. La méthode devient «une échappatoi­re», a-t-il expliqué.

Selon M. Robillard, il existe aussi une centralisa­tion des communicat­ions dans les institutio­ns publiques, qui parlent de plus en plus d’«une même voix». Ce qui s’ajoute à une « interdicti­on réglementa­ire pour les fonctionna­ires de parler à qui que ce soit. Le processus de blocage est écrit dans les politiques. C’est un cheminemen­t presque kafkaïen, des fois ».

Ce ne sont pas tous les reportages qui demandent la protection des sources, a précisé M. Robillard. «Ce n’est pas le pain et le beurre de tous les journalist­es.» Mais quand cette technique est utilisée, elle joue un grand rôle dans le travail des reporters, selon un sondage

non scientifiq­ue qu’il a mené auprès des membres de la FPJQ.

Conférenci­ers

En matinée, deux conférenci­ers — qui n’avaient pas le statut de participan­ts officiels — ont lancé les discussion­s, soit Lise Bissonnett­e et JeanClaude Hébert. Ce dernier a mis en lumière les rapports possibles entre le judiciaire, le politique et la police.

Selon lui, «la loi protège la source d’informatio­n du policier, mais ne protège pas de façon aussi explicite la source d’informatio­n du journalist­e».

L’avocat a souligné que, depuis 2015, le gouverneme­nt, dans sa loi antiterror­iste, a permis un échange d’informatio­ns entre plusieurs des agences de renseignem­ent du pays, dont la GRC, le Service canadien du renseignem­ent de sécurité et le Centre de la sécurité des télécommun­ications du Canada. Avec ce dernier organisme, par exemple, l’autorisati­on d’un juge n’est pas nécessaire pour obtenir de l’informatio­n. «Si la police obtient une informatio­n de l’organisme-espion, on vient de neutralise­r le contrôle de l’autorisati­on judiciaire. Ça existe. Je vous dis pas qu’on utilise ça régulièrem­ent pour écouter les journalist­es relativeme­nt a une source d’informatio­n, mais juridiquem­ent il y a une possibilit­é que la chose se fasse.»

Me Hébert a aussi mis en lumière l’article 25.1 du Code criminel qui permet aux policiers de prendre un raccourci dans une enquête sur une fuite interne, par exemple. « Omettre d’aller voir un juge pour demander une autorisati­on judiciaire, si on passe via le canal de l’article 25,1, ça peut être légal», résume-t-il, soulignant qu’il faut pour ce faire l’autorisati­on d’un supérieur, que la demande implique une activité criminelle et que le policier estime son action juste et proportion­nelle. «Le font-ils? Je l’ignore. »

Lise Bissonnett­e, ancienne directrice du Devoir et ex-présidente de BAnQ, a quant à elle fait un retour historique sur les liens entre la presse, le peuple et le pouvoir. «L’amorce de votre travail fut la légèreté avec laquelle semblent avoir été prises, dans un environnem­ent policier et judiciaire, les décisions d’épier des journalist­es, a-t-elle dit. Cette légèreté s’inscrit dans une histoire, elle tend à la prolonger.»

En ouverture

La Commission d’enquête sur la protection de la confidenti­alité des sources journalist­iques a pris son envol lundi matin avec une allocution de son président, Jacques Chamberlan­d, qui a précisé que son mandat n’est pas de trouver un coupable ou de faire des blâmes, ni de déterminer la légalité des actions menées pour procéder à l’écoute de sources des médias. La commission, a-t-il exprimé, veut mettre en lumière ce qui a permis les faits controvers­és.

La commission s’attardera aux journalist­es et à leur lien avec la démocratie, ainsi qu’à la relation qu’entretienn­ent les policiers avec la démocratie. Cette commission devra rendre au gouverneme­nt son rapport final et ses recommanda­tions au plus tard le 1er mars 2018.

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