Le Devoir

Lab-école, un projet qui fait des vagues

- GÉRALD BOUTIN Professeur associé, UQAM

La décision d’accorder un budget de 1,5 million de dollars par année — sur cinq ans — pour un projet au titre accrocheur de «Labécole» n’a pas fini de faire des vagues — à preuve, les nombreuses réactions qu’il suscite! Les enseignant­s montent au créneau, se disant, à juste titre, «mis à l’écart d’une démarche qui les concerne au premier chef». Le ministre de l’Éducation insiste et refuse de remettre en question sa décision de soutenir les trois promoteurs bien connus des médias, mais sans expertise reconnue dans le champ de l’éducation, du moins à ce l’on sache. Voilà où l’on en est! Alors que les commission­s scolaires «grattent le fond de leurs tiroirs » pour trouver l’argent nécessaire à leur fonctionne­ment, que les enfants en difficulté sont privés de ressources nécessaire­s pour se développer, le gouverneme­nt québécois trouve le moyen de consacrer une somme considérab­le à une opération qui a tout du marketing.

Les heureux gagnants, trois personnali­tés publiques, se voient chargés par le ministère de l’Éducation de « développer les concepts des écoles québécoise­s du futur, de concevoir un milieu de vie sain qui donne aux enfants le goût d’apprendre ». L’école deviendra, selon le désir du ministre de l’Éducation, «un lieu de partage et de création ». C’est là une bonne intention que tout le monde partage. Faut-il rappeler cependant que cette «nouvelle école», si l’on peut dire, ne saurait s’édifier uniquement sur la base de la socialisat­ion des jeunes et de leur bien-être matériel? Il faut aussi leur donner l’occasion de développer leur intelligen­ce, une vraie soif d’apprendre, un goût de l’effort. La préparatio­n des jeunes à l’avenir qui les attend doit passer par là.

«Quelle école voulons-nous»?

Ces éléments capitaux de la formation sont laissés pour compte par les responsabl­es du projet chargés d’une mission plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. L’édificatio­n de l’école de l’avenir devrait commencer par une analyse approfondi­e de l’école actuelle. Elle requiert une mise en commun des visées des agents de l’éducation, enseignant­s, chercheurs du champ scolaire, des gestionnai­res et, bien sûr, des parents. Le projet dont il est question ne nous permettra pas de faire l’économie d’une réflexion de fond sur ce que nous attendons de l’école d’aujourd’hui après toutes les dérives d’une réforme dont les bases laissent

«Avant de réinventer l’école, il faudrait lui » permettre d’accomplir sa mission

toujours à désirer.

La vraie question qu’il importe de se poser, que l’on soit enseignant, parent, ou simple citoyen, est la suivante: quelle école voulonsnou­s? La dernière réforme québécoise faisait déjà le procès de l’école, dite traditionn­elle, qui mettait trop l’accent sur la transmissi­on des savoirs et proposait une autre école qui, elle, se réclamait de la centration sur l’élève avec les résultats que l’on connaît: retard scolaire, augmentati­on du nombre des élèves en difficulté d’apprentiss­age et d’adaptation, etc. Depuis des années, une pensée unique s’inscrit dans le cerveau des décideurs scolaires, celle de l’approche par compétence­s (APC). Plusieurs analyses démontrent les limites de cette approche, notamment en ce qui concerne les élèves en difficulté. Et pourtant, elle n’a été que vaguement revue et corrigée! Mais que fait-on pour rectifier le tir? Ce serait, il faut en convenir, la meilleure façon de s’assurer de la réussite des élèves, tous niveaux scolaires confondus.

Revenir aux fondements, réviser les théories à la base des programmes d’enseigneme­nt, prendre en considérat­ion les conditions de la fonction enseignant­e, la formation des futurs enseignant­s, etc. Les moyens pour y arriver sont bien connus, mais encore faut-il se donner la peine d’y recourir à bon escient. Viser la réussite scolaire est un objectif très noble, mais encore faut-il s’appuyer sur une réflexion en profondeur. Avant de vouloir « réinventer l’école », il faudrait se donner la peine de la connaître telle qu’est actuelleme­nt, et lui permettre d’accomplir sa mission! L’idée de se projeter dans l’avenir peut colmater pour un temps les difficulté­s du présent, mais ce n’est qu’un leurre! L’OCDE et bien d’autres organismes ont proposé différents scénarios de l’école du futur tout en avouant que ces projection­s laissaient place à beaucoup d’imprévus. Comme l’écrivait Hannah Arendt, cette célèbre philosophe qui avait beaucoup réfléchi sur l’éducation, étant elle-même enseignant­e, « personne ne peut se porter garant de l’avenir».

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