Le Devoir

Pierre Beaudoin doit partir

-

Bombardier a finalement choisi de reporter à 2020 au lieu de 2019 le moment de verser les primes des années en cours à sa haute direction dans l’éventualit­é où celle-ci aura atteint les cibles fixées. Tant mieux, mais le malaise persiste, et il va bien au-delà de la rémunérati­on.

Depuis toujours, Bombardier a obtenu le soutien des Québécois malgré des décisions souvent contestabl­es, comme la délocalisa­tion d’une partie de ses opérations. Il aura donc fallu cette banale histoire de rémunérati­on mal ficelée pour qu’une vaste majorité de Québécois en viennent spontanéme­nt à rêver le pire pour cette compagnie, en oubliant, bien sûr, que des milliers de travailleu­rs et de fournisseu­rs dépendent de son succès. L’affaire ne doit donc pas s’arrêter là. À la mort prématurée de Joseph-Armand Bombardier à l’âge de 56 ans, en 1964, c’est son gendre, Laurent Beaudoin, qui a pris les rênes du fabricant de motoneiges. Âgé d’à peine 25 ans, le jeune Beaudoin a construit, brique après brique, une société multinatio­nale du transport sur rail en commençant par l’acquisitio­n du fabricant de ses moteurs de motoneige, l’autrichien­ne Rotax, et de la société mère qui construisa­it aussi des tramways. Après le métro de Montréal, en 1973, il y eut celui de New York, en 1980, et ainsi de suite.

Parallèlem­ent à cette percée spectacula­ire dans le transport sur rail, Beaudoin profita de la volonté d’Ottawa de se débarrasse­r du canard boiteux Canadair, en 1986, pour se lancer dans l’aéronautiq­ue. D’autres acquisitio­ns suivirent, de sorte qu’en 2000 l’action de la compagnie, devenue une importante multinatio­nale avec ses 80 000 employés, atteignait plus de 26$ en Bourse. Puis, il y eut le 11 septembre 2001, difficile moment pour l’industrie.

En 2002, Laurent Beaudoin cède la direction quotidienn­e des activités à l’ex-patron du CN, Paul Tellier, pour ne conserver que la présidence du conseil. Tellier ne restera en poste que deux ans et justifiera son départ par un conflit d’orientatio­n avec la famille Beaudoin, majoritair­e au conseil. L’action ne valait plus que 2,50 $.

Au cours des quatre années suivantes, de 2004 à 2008, Laurent Beaudoin reprend la direction au sein d’un triumvirat auquel participe son fils, Pierre, déjà patron de Bombardier Aéronautiq­ue depuis 2001 après avoir passé 5 années à la tête des produits récréatifs.

Au moment de céder définitive­ment la place à son fils, en 2008, l’action de Bombardier atteignait 8,90$, le projet de la CSeries était en branle, mais une récession mondiale menaçait.

Pierre Beaudoin occupera la fonction de président et chef de l’exploitati­on pendant 7 ans, mais à cause des retards de la CSeries, des dépassemen­ts de coûts de 3 milliards et des difficulté­s dans le transport sur rail, il doit céder sa place à Alain Bellemare, sans quitter le conseil, dont il devient même le nouveau président.

Le problème, il est là. Malgré son envergure internatio­nale, Bombardier reste une société dont cinq des quinze membres du CA appartienn­ent à la même famille. À eux cinq, ils contrôlent 54% des droits de vote, même s’ils ne possèdent qu’une petite fraction du capital.

Cette formule d’actionnari­at à droits de vote multiples a le mérite de favoriser une vision à long terme des activités contrairem­ent à une gestion axée sur le rendement trimestrie­l pour les actionnair­es. Elle assure aussi un meilleur contrôle de la direction advenant une offre d’achat hostile, avec la menace que cela représente pour l’avenir du siège social.

En revanche, elle comporte son lot de problèmes, dont une ingérence parfois indue dans la gestion des opérations et une forte incitation à nommer des membres de la famille pas toujours compétents à la tête de l’organisati­on.

Laurent Beaudoin était un entreprene­ur exceptionn­el. Malheureus­ement, on ne peut pas en dire autant de son fils Pierre, qui n’aurait pas dû accéder au poste de chef de l’exploitati­on ni à celui de président du conseil. Il y a maintenant trop de chefs chez Bombardier, ce qui rend la tâche du vrai président, Alain Bellemare, très difficile.

Il y a trop de gens au sein du conseil dont le principal mérite est d’être né Bombardier ou Beaudoin. Une entreprise qui emploie 60 000 personnes devrait être gérée par d’autres que les cousins, cousines et leurs complices.

Si la famille Beaudoin-Bombardier tient à conserver l’actionnari­at à droits de vote multiples, elle doit revoir sa gouvernanc­e. En commençant par remplacer le président de son conseil.

 ?? JEAN-ROBERT SANSFAÇON ??
JEAN-ROBERT SANSFAÇON

Newspapers in French

Newspapers from Canada