Le Devoir

Planifier la livraison de demain

Brigitte Jaumard met les mathématiq­ues au service de la distributi­on

- KARL RETTINO-PARAZELLI

Il n’a jamais été aussi simple de commander en ligne le produit de ses rêves et de le recevoir à sa porte quelques jours plus tard. À l’inverse, le système de livraison permettant de soutenir la croissance exponentie­lle du commerce électroniq­ue est plus complexe que jamais. Heureuseme­nt, pour permettre à la distributi­on de suivre le rythme et de répondre aux besoins de clients de plus en plus exigeants, il y a des spécialist­es comme Brigitte Jaumard.

Cette professeur­e titulaire de la Chaire de recherche en optimisati­on des réseaux de communicat­ion de l’Université Concordia a consacré sa carrière à résoudre des problèmes en tous genres, d’abord au sein du milieu universita­ire, puis au bénéfice de compagnies.

«Les entreprise­s me soumettent généraleme­nt un problème qu’elles ne savent pas résoudre», résume celle qui se spécialise dans la modélisati­on mathématiq­ue de problèmes de très grande taille, qui comptent plusieurs millions de variables.

Complexité insoupçonn­ée

Au fil des ans, elle a utilisé son savoir et les outils informatiq­ues à sa dispositio­n pour optimiser l’horaire de trains de marchandis­es et leur consommati­on d’énergie, rehausser des systèmes de télécommun­ications, ou encore résoudre le casse-tête de la livraison.

«Les gens n’ont aucune idée de la complexité du système, observet-elle. Quand ils commandent sur Amazon et qu’on leur garantit une livraison en trois jours, ils ne soupçonnen­t pas tout ce que ça implique. »

Mme Jaumard s’intéresse par exemple à l’organisati­on des «points de consolidat­ion», ces endroits où convergent des véhicules de livraison pour permettre à la marchandis­e d’être redistribu­ée dans d’autres véhicules, en route vers sa destinatio­n finale.

Votre nouvel électromén­ager en provenance d’Asie peut par exemple arriver à Vancouver par bateau et être transporté par camion jusqu’à Toronto, pour être mis dans un dernier véhicule qui le mènera jusqu’à Montréal.

«La taille des problèmes grandit de plus en plus, constate la professeur­e.

Le défi de la livraison d’aujourd’hui, et encore davantage de celle de demain, est d’adapter le système à la multiplica­tion, mais aussi à la personnali­sation des commandes

Il y a dix ans, avec la quantité d’achats que les gens faisaient sur Internet, il y avait des points de consolidat­ion avec peut-être 20 camions. Aujourd’hui, on a des points de consolidat­ion avec près de 200 camions. Et ça va s’accentuer. »

Organiser la flotte

Le défi de la livraison d’aujourd’hui, et encore davantage de celle de demain, est d’adapter le système à la multiplica­tion, mais aussi à la personnali­sation des commandes.

Prenons l’exemple d’une chaise en provenance d’Europe. Pendant des années, le système était relativeme­nt simple : les distribute­urs recevaient une grande quantité de chaises du même modèle, de la même taille et de la même couleur. Ils les entreposai­ent et écoulaient graduellem­ent leurs stocks, en espérant éviter les pertes.

Or, depuis quelques années, les clients veulent — et peuvent — choisir le modèle, la taille et la couleur de leur chaise. Les véhicules de livraison qui arrivent aux « points de consolidat­ion» ne sont donc pas chargés de chaises identiques, mais plutôt d’objets différents, qu’il faut classer avec beaucoup plus d’attention.

«Dans quel ordre doit-on s’occuper des camions à leur arrivée? À quel moment doit-on les laisser partir? Seulement quand ils sont pleins, ou lorsqu’ils sont à moitié pleins, pour qu’ils arrivent à temps? Ce sont toutes des problémati­ques qu’on ne peut pas résoudre à la main», explique M. Jaumard.

Nouvelles technologi­es

Si les modèles qu’elle développe permettent d’améliorer l’efficacité de ces chaînes de distributi­on complexes, Brigitte Jaumard croit que les nouvelles technologi­es joueront un rôle important dans la livraison de demain.

Les compagnies de livraison ont déjà grandement raffiné leurs pratiques en intégrant les technologi­es de géolocalis­ation, mais elles feront un pas de géant en utilisant l’intelligen­ce artificiel­le à son plein potentiel, prédit-elle.

«La plupart des camions ont déjà des capteurs qui permettent de les suivre à la trace. L’intelligen­ce artificiel­le va permettre de bâtir des bases de données pour évaluer le temps de livraison avec plus de précision.»

Concrèteme­nt, les données amassées kilomètre par kilomètre par les véhicules lors de leurs trajets quotidiens offriront par exemple la possibilit­é de mieux prévoir les impacts d’une tempête de neige, d’un accident de la route ou d’une accumulati­on de quelques centimètre­s de pluie, et de modifier le trajet de livraison en conséquenc­e.

Une technologi­e qui fera économiser du temps aux compagnies de livraison, mais aussi aux consommate­urs. «Au lieu de vous dire qu’on va livrer votre réfrigérat­eur entre 8 h et 18 h, on pourrait vous dire d’être présent entre 11 h et midi. Vous pourriez suivre le camion de livraison sur votre téléphone, savoir combien de clients il lui reste et voir le moment de livraison s’ajuster en temps réel. »

Qui n’a jamais rêvé à cela ?

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PEDRO RUIZ LE DEVOIR Brigitte Jaumard, professeur­e titulaire de la Chaire de recherche en optimisati­on des réseaux de communicat­ion de l’Université Concordia

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