Le Devoir

Le conflit se durcit en Guyane française

Le gouverneme­nt appelle au dialogue

- JORIS FIORITI DANIEL SAINT-JEAN à Cayenne

Le premier ministre français Bernard Cazeneuve a appelé lundi à «poursuivre le dialogue » en Guyane, mais sans faire de promesses « irréaliste­s », alors que la mobilisati­on se durcit dans ce territoire français d’Amérique du Sud secoué par un mouvement social inédit.

Dimanche, le collectif à l’origine du mouvement avait posé un ultimatum exigeant 2,5 milliards d’euros (environ 3,6 millions $CAN) «tout de suite» pour le développem­ent de ce départemen­t au fort taux de chômage et à l’insécurité chronique.

«Je ne m’engagerai que sur ce que je sais pouvoir tenir, a déclaré le premier ministre, à l’issue d’une réunion sur la Guyane avec 12 membres du gouverneme­nt. Il serait […] aisé de céder à la facilité et de promettre des mesures et des aides financière­s d’un montant irréaliste, puis d’en laisser la charge et la responsabi­lité à un autre gouverneme­nt. Ce n’est pas la conception que nous avons de la responsabi­lité dans la République», a-t-il ajouté, alors que le premier tour de l’élection présidenti­elle se tient dans moins de trois semaines.

Le gouverneme­nt avait annoncé samedi un milliard d’euros d’engagement­s en Guyane, en proie à une forte agitation sociale depuis 15 jours.

Sur place, des membres encagoulés du collectif «500 hommes contre la délinquanc­e», en pointe dans la mobilisati­on, ont fait fermer lundi tous les magasins de la capitale Cayenne, où une «opération ville morte» a été décrétée.

La ministre des Outre-mer, Ericka Bareigts, «fait comme si elle ne savait pas que nous avons 50 ans de retard […], que nous voyons de la misère dans notre pays. Nous allons lui montrer», avait déclaré dimanche Olivier Goudet, porteparol­e du groupe des 500 frères.

Le blocage du port de Cayenne pourrait plonger la Guyane dans la pénurie: tandis qu’une montagne de conteneurs pleins s’accumule au port, les rayons sont de plus en plus vides dans les magasins.

Un vrai isolement

Depuis le 21 mars, date du début du conflit, le grand port de Guyane, sur le fleuve Mahury, est silencieux. La centaine de débardeurs qui s’y affairent habituelle­ment sont absents, les grues immobiles, le trafic nul. «C’est le désert», souffle Philippe Lemoine, son directeur.

Quelque 350 conteneurs, déchargés avant le blocage, attendent d’être sortis du port, selon lui. Une cinquantai­ne contiennen­t des produits frais, peut-être déjà périmés.

Alors que le port constitue « le lieu de passage pour 90 à 95% des importatio­ns et exportatio­ns» de la Guyane, son inactivité forcée a conduit à débarquer 800 à 1000 conteneurs dans des ports au Surinam et à Trinité-et-Tobago, explique le directeur.

Les conséquenc­es sont lourdes. Dans les magasins, les produits frais ont presque disparu. «Quand je vais au supermarch­é, je ne trouve plus tout ce que je veux», observe Stéphane Lambert, qui dirige l’organisati­on patronale Medef à Cayenne, chiffrant le coût du blocage à «plusieurs millions d’euros». Barrages sur les routes, port bloqué et aucun moyen de substituti­on en vue : du fait du mouvement social, qui touche également l’aéroport de Cayenne, aucun fret aérien ne parvient sur ce territoire de 83 000 km², et qui n’est relié à aucun autre port par voie terrestre.

Faute de pont, seul un bac, actuelleme­nt en panne, fait la liaison entre le départemen­t français et le Surinam. L’accès au premier port acceptant des conteneurs au Brésil nécessite quant à lui de traverser l’Amazonie.

« Il y a un vrai isolement, note le directeur du port de Cayenne. Si le conflit venait à durer, met-il en garde, il y aurait un très fort impact sur le commerce local, puisqu’il n’y aurait plus d’approvisio­nnement. »

Le mouvement social d’ampleur inédite que connaît depuis deux semaines ce vaste territoire situé à 7000km de Paris est basé sur des revendicat­ions sécuritair­es, économique­s et sociales.

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