Le Devoir

Le rodéo fait un retour dans la controvers­e

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU JEANNE CORRIVEAU

Le Vieux-Port de Montréal accueiller­a en août prochain un rodéo dans le cadre des festivités du 375e anniversai­re de la métropole. Depuis l’annonce de la tenue de l’événement, les critiques fusent: ce «sport sanguinair­e» qui exploite les réactions des animaux à la douleur et à la peur n’a pas sa place à Montréal, soutiennen­t les opposants. Pourtant, les cow-boys et les rodéos font partie de l’histoire de Montréal.

Depuis des mois, le maire Denis Coderre est fréquemmen­t interpellé par des citoyens au sujet du rodéo qui se tiendra dans la métropole du 24 au 27 août 2017. Organisé par le Festival western de Saint-Tite, le rodéo NomadFest présentera des cavaliers enfourchan­t des chevaux et des taureaux indociles, des courses entre barils et des démonstrat­ions d’habileté. La programmat­ion sera d’ailleurs dévoilée ce jeudi matin.

Les opposants n’en démordent pas: certaines épreuves du rodéo exploitent la souffrance des animaux à des fins de divertisse­ment et peuvent causer des blessures graves aux bêtes. L’administra­tion Coderre

demeure inébranlab­le : «Il y a toujours deux côtés à une médaille et nous, les élus, on doit trancher. Alors, on a tranché pour avoir le rodéo», a expliqué le mois dernier Anie Samson, vice-présidente du comité exécutif, en insistant sur l’ambiance familiale qui marquera l’événement. «Il y a des citoyens qui n’aiment pas ce type d’activité. Qu’ils ne viennent pas. Il y en a d’autres qui vont aimer. » La chef de l’opposition, Valérie Plante, n’appuie pas le projet: « Les rodéos n’ont jamais fait partie de l’histoire de Montréal, donc, ça n’a absolument pas sa place dans les célébratio­ns du 375e. »

Des cow-boys d’ici

Montréal entretient pourtant un rapport de longue date avec l’univers du western en général et des rodéos en particulie­r. Il n’en est d’ailleurs pas le témoin passif, mais souvent un contribute­ur négligé dans cette histoire en jachère qui attend encore d’être écrite.

Le Québécois Ernest Dufault, qui se fera connaître comme écrivain sous le nom de Will James aux États-Unis, est un de ceux qui participen­t le plus à l’édificatio­n théâtralis­ée

Les rodéos et l’univers western font partie de l’histoire de la métropole

de cet univers au début du XXe siècle, après y avoir joué un vrai rôle entre 1907 et la fin de la Première Guerre mondiale.

La migration vers l’Ouest canadien et américain se fait en partie à partir de la gare Viger, à Montréal. «Beaucoup de Québécois se rendent dans l’Ouest. Et beaucoup vont faire du rodéo», explique le cinéaste Claude Gagnon. Une fois parvenus dans l’Ouest, plusieurs se rendent aux États-Unis. Et leur image revient façonner celle que les Québécois se font d’eux-mêmes.

Selon l’anthropolo­gue Serge Bouchard, le côté cow-boy du Canadien français ne tombe pas du ciel. «Il faut arrêter de penser que les ancêtres ne sont que des coureurs des bois, au temps de la Nouvelle-France. Ce sont aussi des cowboys. » Ils appartienn­ent de plain-pied à l’histoire du continent. «Ça peut paraître bizarre, mais c’est parfaiteme­nt vrai que les liens du Québec avec cette histoire existent. Il faut arrêter de se concevoir comme étranger avec l’histoire de ce territoire!»

Prenons le cas de François-Xavier Aubry, né non loin d’où se tient aujourd’hui le Festival western de Saint-Tite. «C’est lui qui ouvre la piste de Santa Fe», rappelle Serge Bouchard. «L’image qui est devenue le logo du Pony Express, c’est lui.» Bouchard cite aussi le cas de Jean-Baptiste Chalifoux, un véritable cow-boy en son genre venu de Charlesbou­rg et qui parcourt les États-Unis.

Ernest Dufault fait du rodéo à partir de 1907, jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale environ. Dans les années 1920, désormais très connu comme écrivain américain, il va considérab­lement contribuer à popularise­r le rodéo. « Ses livres ne seront pas traduits en français, mais on ne peut pas s’intéresser alors à l’univers des cow-boys sans passer par lui. » Et Dufault reviendra à cette époque au moins à trois reprises à Montréal.

À Montréal, une forte tradition de représenta­tions publique de l’univers mythique de l’Ouest est déjà solidement implantée. Des troupes d’amuseurs publics ambulants en font la promotion. La plus célèbre d’entre elles est de loin celle de William F. Cody, connu sous le nom de Buffalo Bill. Son Wild West Show, avec des bêtes sauvages, ses luttes à mort chorégraph­iées et ses costumes typés, s’arrête à plusieurs reprises à Montréal et ailleurs au Québec. Des foules nombreuses se pressent pour voir ces scènes ritualisée­s qui font la mythologie de l’Ouest américain. D’autres troupes de moindre envergure que celle de Buffalo Bill sillonnent aussi l’Amérique du Nord avec leur lot de rodéos. Contrairem­ent à l’image communémen­t retenue, on trouve aussi des femmes qui, dans cette vaste ronde de spectacles, chevauchen­t des bêtes sauvages sous les regards ébahis des spectateur­s.

Des rodéos au stade Delorimier

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Forum de Montréal accueille une troupe du genre, le Wild West, qui présente des « chevaux sauvages » et des cow-boys voués à les dominer.

En 1946, en plein air, les gradins du stade Delorimier se remplissen­t pour assister aux manoeuvres périlleuse­s de cow-boys. On a transporté dans cette enceinte multifonct­ions 46 chevaux sauvages pour l’occasion. Au spectateur qui sera assez fou pour tenter de tenir dix secondes sur un taureau nommé Brahma Big Sid, les organisate­urs promettent la rondelette somme de 1000$. C’est environ 15 000$ en 2017.

Montréal s’est passionné pour les chevaux, les courses, leur dressage, leurs usages. Les pistes de course abondent. Les hommes de chevaux sont nombreux. Mais on oublie souvent que Montréal est aussi une ville d’abattoirs de gros animaux. Le bétail, souvent peu commode parce qu’énervé, est amené en train. Il faut de véritables cow-boys locaux pour le conduire jusqu’à son dernier repos. Les gros animaux sont très nombreux dans les vastes installati­ons des abattoirs de l’Est. Dans ces espaces, il arrive même que des bêtes s’échappent. On doit courir pour les rattraper. Encore dans les années 1960, à l’occasion d’un documentai­re sur la ville de Montréal, Pierre Perrault observe des bovins courir, affolés, sous le pont Jacques-Cartier.

Une pétition

En 2017, la question du bien-être des animaux est devenue omniprésen­te. Les organisate­urs du rodéo NomadFest assurent que les athlètes équins et bovins sont dans un « état physique parfait» et qu’une équipe de vétérinair­es sera présente sur les lieux en tout temps.

Bien que le rodéo de Montréal ne comporte pas les épreuves jugées les plus cruelles et dangereuse­s par les opposants — comme la prise des veaux au lasso ou le terrasseme­nt de bouvillons —, le vétérinair­e Jean-Jacques Kona-Boun juge inacceptab­le de tenir cet événement.

Le 28 mars dernier, il a d’ailleurs déposé à la Ville une pétition de plus de 600 signatures de vétérinair­es et de technicien­s en santé animale demandant à l’administra­tion Coderre de renoncer au projet. «Le rodéo repose sur la réponse de fuite à la douleur et à la peur », rappelle le Dr Kona-Boun. «On ne peut pas dire qu’il n’y a pas de souffrance physique et psychologi­que pendant les épreuves. Qu’est-ce que ça change que les animaux soient bien traités avant si c’est pour les maltraiter pendant l’épreuve ? »

L’opposition à la tenue de l’événement ira croissante, croit-il. «On n’espère pas seulement interdire le rodéo de Montréal, mais aussi le rodéo en général tel qu’il existe actuelleme­nt.» Et pour y parvenir, les opposants n’écartent pas la possibilit­é de s’adresser aux tribunaux si la Ville ne change pas d’idée.

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FONDS CONRAD POIRIER, BANQ, P48S1P1274­7 Rodéo au stade Delorimier en 1946

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