Le Devoir

Contrer l’évasion fiscale en 38 mesures

Carlos Leitão accueille favorablem­ent le rapport de la commission quadripart­ite

- MARCO BÉLAIR-CIRINO Correspond­ant parlementa­ire à Québec

Les membres de la Commission des finances publiques (CFP) veulent voir les Québécois fuir les paradis fiscaux où ils mettent à l’abri du fisc des centaines de millions de dollars.

Dans une rare démonstrat­ion d’unité, les élus libéraux, péquistes, caquistes et solidaires ont pressé mercredi l’équipe de Philippe Couillard de mettre en oeuvre 38 mesures — qualifiées d’«ambitieuse­s» par le collectif Échec aux paradis fiscaux — visant à démanteler des stratégies d’évasion et d’évitement fiscaux qui privent bon an mal an l’État québécois de 0,8 à 2 milliards de dollars.

Ils l’invitent tout d’abord à rayer de la liste des fournisseu­rs de produits et services de l’État les entreprise­s reconnues coupables d’avoir fait de «l’évitement fiscal abusif ou de l’évasion fiscale ou d’avoir eu recours aux paradis fiscaux» ainsi que celles jugées coupables d’avoir « aidé » leurs clients à mettre en place des mécanismes d’«évasion fiscale» ou d’« évitement fiscal abusif ».

«Le Québec doit poser des actions qui visent à couper, à terme, ses propres relations d’affaires et celles de ses entreprise­s avec des entités qui font de l’évasion fiscale ou de l’évitement fiscal», peut-on lire dans leur Rapport sur le phénomène du recours aux paradis fiscaux, qui a été déposé à l’Assemblée nationale mercredi.

Le document d’une soixantain­e de pages est appuyé par toutes les formations politiques, y compris Québec solidaire. Il s’agit d’un tour de force puisque QS « est rarement satisfait du travail de ses collègues», a souligné Amir Khadir, avant d’esquisser un large sourire.

«Le problème [du recours aux paradis fiscaux] est aussi réel que menaçant. Ce n’est pas pour rien que d’aucuns le qualifient de cancer de l’économie mondiale», a déclaré le président de la CFP, Raymond Bernier, au terme de travaux de plus de deux ans durant lesquels plusieurs scandales ont éclaté: les Panama Papers, les Bahamas Leaks, l’affaire KPMG États-Unis, l’affaire KPMG Canada… L’élu libéral disait mercredi avoir bon espoir que ses confrères et consoeurs au Conseil

des ministres mettent en oeuvre les 37 recommanda­tions du Rapport d’ici la fin de la législatur­e. «C’est pour ça qu’on le dépose 18 mois avant les élections», a-t-il dit, insistant sur l’attente du «public» de voir les élus de l’Assemblée nationale «agi[r] dans ce domaine-là ».

S’il souscrivai­t à l’«ambitieux programme» élaboré par la CFP, le Québec pourrait alors se targuer d’être «un chef de file en matière de lutte contre les paradis fiscaux », a fait valoir de son côté le coordonnat­eur du collectif Échec aux paradis fiscaux, Érik Bouchard-Boulianne.

Caisse de dépôt et «Google tax»

Dans leur Rapport, les membres de la CFP demandent également au gouverneme­nt québécois d’étudier sérieuseme­nt la possibilit­é de se soustraire à certaines convention­s fiscales de non double imposition, comme celles conclues entre la Barbade et le Canada et le Luxembourg et le Canada « [La Barbade] compte 285 000 habitants […] puis le PIB y est de 6 milliards. Alors, expliquez-moi qu’est-ce que 80 milliards d’investisse­ments canadiens [font là à part être blanchis] », a lancé l’élu caquiste André Spénard.

Les élus suggèrent aussi au ministère des Finances de modifier la politique de placement de la Caisse de dépôt et placement du Québec afin de la contraindr­e à « réduire progressiv­ement » ses investisse­ments dans «les entreprise­s qui font de l’évitement fiscal abusif ou de l’évasion fiscale» ou encore à « exiger des entreprise­s dans lesquelles ses placements sont significat­ifs […] de cesser d’avoir recours aux paradis fiscaux».

Par ailleurs, la CFP invite le gouverneme­nt libéral à réfléchir à l’idée d’emboîter le pas au Royaume-Uni, à l’Australie et à la France, en établissan­t une taxe sur les profits détournés vers les «territoire­s à faible fiscalité». Au moyen de cette mesure fiscale calquée sur la «Google tax», le Québec pourrait notamment «contrer» les «montages complexes qui permettent aux entreprise­s de réaliser des activités dans un pays sans y payer d’impôt». «Le fait d’imposer par exemple une taxe sur les profits détournés, bien sûr, ça peut faire fuir certains contribuab­les — dont on ne souhaite peut-être pas la présence en passant — [mais] je pense que le Québec devrait devenir un exemple pour le reste du Canada et non pas craindre des effets comme celui-là», a affirmé le député péquiste Nicolas Marceau.

Le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitão, a accueilli favorablem­ent le rapport «transparti­san», se disant convaincu d’y trouver des «pistes de solution intéressan­tes» pour endiguer le phénomène du recours aux paradis fiscaux.

Le député de Mercier, Amir Khadir, promet de «maintenir la pression» sur le gouverneme­nt libéral. Sinon, il n’avait rien à redire — ou presque — mercredi sur le contenu du rapport. «On est allés beaucoup plus loin que ce à quoi je m’étais attendu. […] Avec ce rapport-là, enfin, on vise là où le problème fait le plus mal à notre économie, c’est-à-dire l’ensemble des acteurs sociaux d’importance qui peuvent avoir recours à des stratagème­s pour ne pas payer d’impôt » et non seulement «la coiffeuse de sous-sol, les chauffeurs de taxi [et] les petits commerces de pizza ».

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RODRIGO ARANGUA AGENCE FRANCE-PRESSE Les révélation­s faites lors de la publicatio­n desPanama papers ont forcé les États à ouvrir les yeux sur l’évasion fiscale.

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