Le Devoir

Un simple constat d’échec À qui la faute, si nos urgences sont moins bien gérées qu’ailleurs?

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

Il est toujours étonnant de voir à quel point un homme aussi prompt à fustiger ses contradict­eurs que l’est Gaétan Barrette peut avoir l’épiderme sensible.

Le ministre de la Santé a été piqué au vif par un tweet de la députée fédérale de Brossard– Saint-Lambert, Alexandra Mendès, qui dénonçait la situation dans les urgences des huit hôpitaux de la Montérégie, dont le taux d’occupation variait de 117 % à 232 %.

Il n’en fallait pas plus à M. Barrette pour crier au «Québec bashing», comme s’il incarnait luimême la nation. Il est vrai que le gouverneme­nt Trudeau a manqué une belle occasion de contribuer à améliorer les choses en limitant à 3% la hausse du transfert canadien en santé (TCS) et que Mme Mendès et ses collègues du caucus libéral sont demeurés bien silencieux durant ce débat. Le bordel qui règne dans les urgences est cependant bien antérieur.

On peut très bien comprendre la frustratio­n de M. Barrette face à l’intransige­ance d’Ottawa, mais la députée de Brossard–Saint-Lambert n’en a pas moins fait état légitimeme­nt d’une situation dont ses commettant­s subissent les inconvénie­nts et qui amène à se poser la question suivante: pourquoi est-ce pire au Québec, alors que le TCS est calculé de la même façon pour toutes les provinces? Et si nos urgences sont moins bien gérées qu’ailleurs, à qui la faute ?

M. Barrette ne peut pas faire taire les membres de la Chambre des communes comme il a muselé les organismes québécois qui osaient critiquer sa gestion. Au reste, Mme Mendès a simplement ajouté sa voix à celles qui avaient réussi à se faire entendre avant de s’éteindre.

En juin dernier, dans son dernier rapport avant que son poste soit aboli, le commissair­e à la santé et au bien-être, Robert Salois, avait affirmé que le Québec avait la pire performanc­e au Canada et même en Occident. S’agissait-il aussi de «Québec bashing»? En 2015-2016, 35 % des Québécois qui se rendaient à l’urgence attendaien­t plus de cinq heures, alors que cette proportion était de 19% en moyenne dans les autres provinces. En Allemagne et aux ÉtatsUnis, elle était de 5 %. En Suisse, de 2 %.

Les choses ne semblent pas aller en s’améliorant. En février dernier, les données obtenues en vertu de la Loi d’accès à l’informatio­n par le député caquiste de Lévis, François Paradis, indiquaien­t que le temps d’attente avait encore allongé dans 48 hôpitaux sur 119 et était en moyenne de 15 heures dans l’ensemble du Québec, avec une pointe de 24,3 heures à l’Hôpital général du Lakeshore, à Pointe-Claire, dans l’ouest de l’île de Montréal.

M. Barrette mise sur la création, d’ici la fin de 2018, d’une cinquantai­ne de superclini­ques qui devront offrir un minimum de 20 000 consultati­ons par année et être ouvertes 12 heures par jour, 7 jours sur 7. Est-ce vraiment la solution ? En juin 2016, l’Associatio­n canadienne des urgentolog­ues s’est dite d’avis que non. Selon elle, il vaudrait mieux procéder par voie réglementa­ire, comme en Grande-Bretagne, où on impose un temps d’attente maximal de quatre heures à l’urgence. Toujours aussi cassant, le ministre de la Santé a répliqué que les urgentolog­ues voulaient simplement protéger leur rémunérati­on. Fin de la discussion.

Quand il s’est présenté sous les couleurs de la CAQ, à l’été 2012, M. Barrette promettait luimême de réduire à quatre heures le temps d’attente moyen dans les urgences. «Ça se fait, ce n’est pas une lubie, d’autres pays l’ont fait», avait-il déclaré. Mieux encore, un gouverneme­nt caquiste réglerait le problème en un an.

Une fois passé au PLQ, il s’est fait nettement moins affirmatif. La plateforme libérale de 2014 ne fixait aucun objectif précis. Le mot «urgence» n’y apparaissa­it même pas. Philippe Couillard se souvenait sans doute de la campagne de 2003, quand Jean Charest s’était imprudemme­nt engagé à mettre fin à l’engorgemen­t des urgences «dans les heures» suivant son élection. Une promesse qu’on lui avait rappelée quatre ans plus tard, quand le taux d’occupation des urgences des hôpitaux de Montréal atteignait 150%. Quatre années durant lesquelles le ministre de la Santé était… Philippe Couillard.

Depuis trois ans, le premier ministre a donné carte blanche à M. Barrette, qui s’est arrogé plus de pouvoirs sur le réseau de la santé qu’aucun de ses prédécesse­urs n’en a jamais eus. Il en a profité pour le chambarder de fond en comble. Déplorer l’état dans lequel demeurent malgré tout les urgences n’a rien à voir avec du «Québec bashing». C’est un simple constat d’échec.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada