Droit de parole, privilège de tribune
En 1906, dans The Friends of Voltaire, Evelyn Beatrice Hall (sous le pseudonyme de S. G. Tallentyre) résume ainsi la pensée de cette figure de proue des Lumières françaises: «Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire.» Cette phrase due à Mme Hall elle-même (et originellement en anglais) a depuis été employée à maintes reprises par des polémistes et des défenseurs de la démocratie occidentale de tous horizons politiques.
La clé de cette formule réside à la fin. On se battra «… pour que vous ayez le droit de le dire ». Pas « pour que vous soit garanti un large auditoire attentif ». En d’autres termes, le droit à la liberté d’expression prescrit qu’une personne ne puisse pas être mise en prison (ou judiciarisée d’une quelconque façon) pour des propos qu’il ou elle a tenus, en public ou en privé (à quelques exceptions près). La tribune constitue un privilège, et si les médias ont le devoir moral de s’assurer que la tribune qu’ils offrent soit répartie de façon juste entre des gens de toutes opinions, le droit à la liberté d’expression n’oblige en rien d’autres institutions à accorder du temps de parole à ceux et celles dont elles estiment le ton déplacé ou inapproprié. Quelqu’un aurait-il l’idée, par exemple, de contester l’ordre de garder le silence décrété par un juge à la cour au nom de la liberté d’expression? Toutes les tribunes ne sont pas pour tous les discours.
Personnages controversés
Récemment M. Normand Baillargeon, ancien professeur à l’UQAM, a cru bon tirer la sonnette d’alarme sur une situation qu’il croit dangereuse. Selon lui, la liberté d’expression est de plus en plus menacée au sein même des universités. Pour exemples, il cite les multiples conférences présentées à l’UQAM par une panoplie de personnages tenant des propos souvent controversés, et qui ont été à plusieurs reprises perturbées par des groupes d’étudiants. Dans certains cas, les administrations des universités auraient été jusqu’à annuler des événements de manière préventive. Selon lui, l’université doit être un lieu de discussion ouvert où chacun doit être libre d’exprimer ses opinions, et cette liberté se trouverait entravée par les réactions épidermiques des associations étudiantes et la frilosité des administrateurs et administratrices.
Pourtant, l’université doit-elle vraiment être l’espace de débats idéologiques? Il est évident qu’il est souvent difficile de démêler l’idéologie d’un auteur ou d’un professeur de son propos pédagogique — c’est pourtant ce qu’il faut tâcher de faire. Le but de l’université est avant tout le progrès de la connaissance objective. Dans toute la discussion sur l’ère de la «postvérité », par exemple, le consensus veut qu’une base commune de faits doive exister pour alimenter le débat politique et le développement de la culture, entre autres. L’université doit être l’endroit où cette base de faits est établie, dans tous les domaines. Si des débats doivent y prendre place, il ne peut s’agir uniquement que de débats dont le ton et la substance doivent demeurer académiques. La rhétorique populiste, le pseudo-intellectualisme pamphlétaire et les idéologues prosélytes n’y ont pas droit de cité. Ils occupent déjà une part importante de l’espace médiatique et s’y font entendre souvent. C’est ce à quoi servent en partie les médias. D’ailleurs, personne n’a jamais mis en danger la place qu’ils y occupent et où, ironiquement, ils passent une bonne partie de leur temps à crier à la censure. Les universités n’ont pas à les accueillir.
Quelqu’un aurait-il l’idée de contester l’ordre de garder le silence décrété par un juge à la cour au nom de la liberté d’expression? Toutes les tribunes ne sont pas pour tous les discours.