Le Devoir

L’art de la discordanc­e

- DAVID SANTAROSSA Étudiant à la maîtrise en philosophi­e à l’Université de Montréal

Dans l’édition du 1er avril du Devoir, Marcos Ancelovici, titulaire de la Chaire en sociologie des conflits sociaux à l’UQAM, suggère que la censure que peut vivre un intellectu­el comme Mathieu Bock-Côté à l’université n’a que très peu d’incidence sur le débat, car ses positions sont très et même trop présentes dans d’autres tribunes (télévision, radio, journaux, livres). Un tel argument oublie une différence importante entre la tribune universita­ire et les autres qui visent un auditoire beaucoup plus large. Une chronique n’est pas un livre. Une conférence universita­ire n’est pas une entrevue radio. Dans le cadre universita­ire, une personne peut davantage développer sa pensée et répondre aux critiques, ce qui est moins fréquent dans les médias traditionn­els. L’irréductib­ilité de la tribune universita­ire aux autres médias rend donc irrecevabl­e la justificat­ion d’une telle censure.

Ancelovici souligne que cette pensée nationalis­te à tendance conservatr­ice trouve un certain écho dans les journaux et à la télévision, mais il oublie de mentionner qu’elle est loin d’être omniprésen­te à l’université. On sait que les étudiants et professeur­s sont majoritair­ement progressis­tes dans les campus universita­ires québécois, et cette majorité se creuse dans les sciences sociales et humaines. Dans le microcosme qu’est l’université, on a plus de chances de lire Karl Marx, Michel Foucault et John Rawls qu’Edmund Burke ou Roger Scruton.

Mouvance conservatr­ice

Outre les effets d’une telle censure sur l’intellectu­el de mouvance conservatr­ice qui accumule les tribunes, des conséquenc­es inévitable­s sont à prévoir chez les étudiants partageant ces idées. Il est inimaginab­le de penser que les réactions hostiles et parfois violentes qui visent à censurer certains penseurs ne décourager­ont pas certains étudiants à prendre la parole pour défendre ces mêmes positions. Ces étudiants vivent une forme d’intimidati­on indirecte par leurs pairs et ils ne bénéficien­t généraleme­nt pas d’autres tribunes que les discussion­s informelle­s entre collègues. Un tel climat mène à la situation actuelle, où les étudiants conservate­urs discutent entre eux et les étudiants progressis­tes font de même.

Les perturbate­urs se drapent de vertus pour justifier leur interrupti­on. Ils agissent au nom de l’inclusion pour donner la parole aux discours plus marginaux. Ils doivent néanmoins comprendre qu’ils n’ont pas l’exclusivit­é sur l’inclusion. Le monde universita­ire doit réapprendr­e l’art de la discordanc­e. Il est possible d’avoir des avis divergents et d’en discuter pour trouver des terrains d’entente. Terrains qui sont parfois difficiles à trouver, et c’est pourquoi les étudiants doivent garder en tête la possibilit­é d’une conclusion essentiell­e en démocratie, à savoir le dicton anglais « we agree to disagree ».

Lire aussi › L’université n’est pas une tour d’ivoire. Un texte supplément­aire de Jaouad Laaroussi et Camille Robert, qui retrace quelques luttes étudiantes et qui conclut : « Nous considéron­s que les université­s ne devraient pas être “protégées” des affronteme­nts d’idées. Nous devons accepter que les luttes sociales fassent, parfois, irruption dans les salles de classe. Après tout, les mouvements sociaux contribuen­t, eux aussi, à façonner le savoir et à réfléchir sur le monde dans lequel nous vivons.»

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