L’art de la discordance
Dans l’édition du 1er avril du Devoir, Marcos Ancelovici, titulaire de la Chaire en sociologie des conflits sociaux à l’UQAM, suggère que la censure que peut vivre un intellectuel comme Mathieu Bock-Côté à l’université n’a que très peu d’incidence sur le débat, car ses positions sont très et même trop présentes dans d’autres tribunes (télévision, radio, journaux, livres). Un tel argument oublie une différence importante entre la tribune universitaire et les autres qui visent un auditoire beaucoup plus large. Une chronique n’est pas un livre. Une conférence universitaire n’est pas une entrevue radio. Dans le cadre universitaire, une personne peut davantage développer sa pensée et répondre aux critiques, ce qui est moins fréquent dans les médias traditionnels. L’irréductibilité de la tribune universitaire aux autres médias rend donc irrecevable la justification d’une telle censure.
Ancelovici souligne que cette pensée nationaliste à tendance conservatrice trouve un certain écho dans les journaux et à la télévision, mais il oublie de mentionner qu’elle est loin d’être omniprésente à l’université. On sait que les étudiants et professeurs sont majoritairement progressistes dans les campus universitaires québécois, et cette majorité se creuse dans les sciences sociales et humaines. Dans le microcosme qu’est l’université, on a plus de chances de lire Karl Marx, Michel Foucault et John Rawls qu’Edmund Burke ou Roger Scruton.
Mouvance conservatrice
Outre les effets d’une telle censure sur l’intellectuel de mouvance conservatrice qui accumule les tribunes, des conséquences inévitables sont à prévoir chez les étudiants partageant ces idées. Il est inimaginable de penser que les réactions hostiles et parfois violentes qui visent à censurer certains penseurs ne décourageront pas certains étudiants à prendre la parole pour défendre ces mêmes positions. Ces étudiants vivent une forme d’intimidation indirecte par leurs pairs et ils ne bénéficient généralement pas d’autres tribunes que les discussions informelles entre collègues. Un tel climat mène à la situation actuelle, où les étudiants conservateurs discutent entre eux et les étudiants progressistes font de même.
Les perturbateurs se drapent de vertus pour justifier leur interruption. Ils agissent au nom de l’inclusion pour donner la parole aux discours plus marginaux. Ils doivent néanmoins comprendre qu’ils n’ont pas l’exclusivité sur l’inclusion. Le monde universitaire doit réapprendre l’art de la discordance. Il est possible d’avoir des avis divergents et d’en discuter pour trouver des terrains d’entente. Terrains qui sont parfois difficiles à trouver, et c’est pourquoi les étudiants doivent garder en tête la possibilité d’une conclusion essentielle en démocratie, à savoir le dicton anglais « we agree to disagree ».
Lire aussi › L’université n’est pas une tour d’ivoire. Un texte supplémentaire de Jaouad Laaroussi et Camille Robert, qui retrace quelques luttes étudiantes et qui conclut : « Nous considérons que les universités ne devraient pas être “protégées” des affrontements d’idées. Nous devons accepter que les luttes sociales fassent, parfois, irruption dans les salles de classe. Après tout, les mouvements sociaux contribuent, eux aussi, à façonner le savoir et à réfléchir sur le monde dans lequel nous vivons.»