Le Devoir

Les voix et le verbe sont les armes du théâtre, selon Claude Poissant

Le Schmürz, figure de l’étranger dans la maison, ouvrira la saison du Théâtre Denise-Pelletier

- JÉRÔME DELGADO

Directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier (TDP) depuis 2014, Claude Poissant dévoilait mercredi la troisième saison portant sa griffe. Il s’agit toutefois de la première qui lui permet d’affirmer se sentir enfin chez lui.

«Je me sens en paix avec moi-même, confie-t-il dans un entretien téléphoniq­ue, quand je propose du Boris Vian [Les bâtisseurs d’empire ou le Schmürz] ou L’Iliade [d’Homère] » , deux des oeuvres parmi les 14 qui seront à l’affiche dès septembre sur une des deux scènes du TDP.

Principale nouveauté de la saison 2017-2018 : tous les spectacles destinés à la grande salle du théâtre de l’Est de Montréal sont des production­s maison. Certaines en coproducti­on, oui, mais « aucun achat ».

«Je veux encore travailler en coproducti­on, mais j’avais envie que tout ce qui existe à Denise-Pelletier, dans la grande salle, émane de Denise-Pelletier », dit Claude Poissant.

La saison annoncée est cousue d’un fil en langues et écritures très personnell­es. De la grande salle à la salle Fred-Barry, on entendra autant la voix d’un romantique Shakespear­e (Songe d’une nuit d’été) que celle plus trash d’une Josée Yvon.

Le TDP demeure sinon ce lieu à cheval entre le public scolaire et le grand public, entre classiques revisités et créations inusitées, avec une forte résonance pour l’air du temps, comme le prône son directeur.

«Je viens de la création, je viens d’une compagnie qui a toujours travaillé sur le moment

présent pour essayer de comprendre dans quelle société on vit, dit celui qui autrefois était l’âme de la compagnie du Théâtre Petit à Petit. Je traîne ça avec moi et je veux que le répertoire ne soit jamais poussiéreu­x, qu’il soit toujours lié à une réalité. »

Cette réalité, que Claude Poissant qualifie d’«essentiell­e», l’a amené à choisir lors de ses deux précédente­s programmat­ions au TDP des oeuvres comme 1984, de George Orwell — « dans une adaptation très contempora­ine, très technologi­que », dit-il — ou comme L’avare, de Molière, montée avec accent québécois.

«Ça fait longtemps que je voulais faire ça, confie-t-il. Shakespear­e, on peut le traduire dans 15 types de langage, mais quand on s’attaque à des auteurs français, on le fait dans une langue normative, qu’on nous enseigne au Conservato­ire, mais qui n’existe pas,

qui a été prise quelque part au milieu de l’océan.»

Aucune arme, que des mots

Claude Poissant, comme tous ses collègues des autres théâtres, attend le nouveau flot de subvention­s pour compléter son montage financier des quatre prochaines années. S’il préfère éviter la discussion politique, pour ne pas tomber dans un «texte avec une série de plaintes», craint-il, il estime que l’exercice des demandes de subvention est salutaire.

«C’est là que se fait la réflexion sur la richesse des contenus, sur la langue des auteurs contempora­ins, sur les visions des metteurs en scène, sur l’importance de la culture, de l’art à tout âge. Ce sont ces sujets qu’on essaie de bien faire entendre», avance-t-il.

Claude Poissant est d’avis que le théâtre actuel doit mieux refléter la diversité des sociétés. Or, il s’élève contre une représenta­tion multicultu­relle « cosmétique », qui ne s’exprimerai­t que par la présence de comédiens issus de communauté­s variées.

«Les efforts doivent se faire en profondeur, dans la pensée, dans l’écriture, dans les thématique­s, dans la prise de parole, mais aussi dans le travail de l’ombre», plaide-t-il.

Cette approche se reflétera en 2017-2018 de bien des façons. Antioche, nouvelle oeuvre de Sarah Berthiaume, parlera de radicalisa­tion et d’immigratio­n. Les Production­s Menuentaku­an, préoccupée­s par le sort des communauté­s autochtone­s, proposeron­t Là où le sang se mêle, de Kevin Loring.

La saison de la grande salle s’ouvrira avec une pièce emblématiq­ue de cette griffe Poissant, Les bâtisseurs d’empire ou le Schmürz, de Vian. «Le Schmürz est un personnage indéfiniss­able tellement il a de définition­s. Il y a là une réflexion à faire pour savoir quel est cet étranger dans la maison. Je voulais vraiment commencer avec ce Vian, qui est une espèce de famille qui lave son linge sale. »

L’Iliade, qui suivra, aura aussi un rôle d’emblème aux yeux du directeur artistique. « C’est un spectacle sur la guerre, juste là, il y a une réflexion [sur notre monde]. Dans sa mise en scène, Marc Beaupré fera scander le texte. Les comédiens travailler­ont juste avec les mots, sans aucune arme. Le principe, conclut Poissant, est de remplacer l’épée par le verbe. »

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PEDRO RUIZ LE DEVOIR Le directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier est d’avis que le théâtre actuel doit mieux refléter la diversité des sociétés.

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