Le Devoir

Les limites d’une crédibilit­é retrouvée

- JULIEN TOURREILLE

En ordonnant une frappe punitive contre une installati­on militaire du régime Al-Assad, le président Trump a sans conteste fait ce qu’il fallait. Les États-Unis ne tolèrent pas l’usage d’armes chimiques et sont prêts à prendre leurs responsabi­lités. S’il a ainsi pu rétablir une certaine crédibilit­é américaine, les effets de cette action devraient néanmoins être limités.

La décision prise par Donald Trump jeudi soir contraste nettement avec l’indécision du président Obama, qui dans des conditions similaires, fin août 2013, avait finalement renoncé à punir le régime syrien. Rien n’indique cependant pour le moment que la politique américaine vis-à-vis du conflit syrien a significat­ivement changé. Les États-Unis de Trump ne devraient pas s’engager dans une nouvelle opération de changement de régime au Moyen-Orient.

L’absence persistant­e de solution à la crise syrienne

Alors que le conflit syrien vient d’entrer dans sa septième année, il n’y a aujourd’hui pas plus de perspectiv­e de résolution de celui-ci. Début 2011, dans la foulée du renverseme­nt de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Égypte, le sort de Bachar al-Assad paraissait limpide aux yeux du gouverneme­nt Obama. Il ne résisterai­t pas à la vague du Printemps arabe.

Cette analyse était erronée. Les spécificit­és de la Syrie, notamment la capacité du régime Al-Assad à conserver l’appui de ses forces armées, n’avaient pas été prises en compte. Les militaires américains n’avaient aucune envie d’être engagés dans un nouveau conflit au Moyen-Orient dont la complexité se traduirait par des coûts financiers et humains conséquent­s.

Politiquem­ent, il n’y avait pas d’appétit à Washington pour se lancer dans de nouvelles aventures militaires. La population américaine était lasse de cet interventi­onnisme botté. Le président Obama n’avait aucunement l’intention de revenir sur sa promesse de désengager les États-Unis de la région. Tant chez les démocrates que chez les républicai­ns, les incantatio­ns à «en faire plus» ne constituai­ent pas un blancseing pour une opération de grande ampleur.

Malgré le changement de style à la MaisonBlan­che, ces paramètres demeurent. Pire, la situation en Syrie est encore plus compliquée qu’elle ne l’était il y a quatre ou six ans. Le pays est le théâtre à la fois d’une guerre civile atroce, d’une compétitio­n entre islamistes radicaux (al-Qaïda et groupe armé État islamique) et de rivalités entre puissances régionales.

Les forces en présence sont variées et ont des objectifs difficilem­ent conciliabl­es. Les Américains, appuyés par une coalition internatio­nale dont fait partie le Canada, combattent le groupe État islamique. Ils appuient des forces kurdes dans leur entreprise de reprise de Raqqa, le fief du groupe État islamique en Syrie. Les Russes, les Iraniens et la milice chiite libanaise Hezbollah cherchent à préserver le régime syrien face à un mouvement rebelle éclaté. Les Turcs veulent à tout prix éviter que les Kurdes de Syrie établissen­t un simili-État sur une partie du territoire et donnent ainsi des idées à leurs homologues vivant en Turquie.

Une crédibilit­é à moindre coût

Dès lors, rien n’indique que la frappe américaine de jeudi soir soit le prélude à une interventi­on armée de plus grande ampleur. Il faut même l’espérer, tant la multitude d’acteurs présents sur le terrain fait courir des risques réels d’escalade incontrôlé­e de la violence.

Trump a trouvé avec une soixantain­e de missiles Tomahawk le moyen de punir Al-Assad, d’inciter les Russes et les Iraniens à revoir leur appui à celui-ci et de restaurer une certaine crédibilit­é américaine tant vis-à-vis des alliés que des rivaux. Rien n’indique toutefois que son gouverneme­nt a la volonté, le talent et l’attention nécessaire­s pour tenter de résoudre la crise syrienne.

Les événements de cette semaine auront alors eu un effet révélateur. Le régime Al-Assad est abject dans sa violence contre sa population, violence qui ne se limite pas à l’usage d’armes chimiques, faut-il le rappeler. Les États-Unis, comme l’ensemble de la communauté internatio­nale, ne disposent d’aucune solution facile à la crise. Comme avec Bill Clinton au Soudan, en Afghanista­n, en Irak dans les années 1990, les frappes de missiles de croisière sont purement symbolique­s et n’ont guère d’effet stratégiqu­e.

Il faut pour le moment s’en contenter. Une résolution politique au conflit reste une perspectiv­e lointaine et incertaine. Une interventi­on militaire de grande ampleur ne présentera­it aucune garantie de succès. Le bilan des dernières tentatives du genre menées par les ÉtatsUnis, en Irak, en Afghanista­n et en Libye, n’est pas franchemen­t concluant. Souhaitons donc que Donald Trump ne se laisse pas griser par le concert d’éloges qui accompagne sa décision. Qu’il se satisfasse d’une crédibilit­é (re)gagnée à moindre coût.

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ABD DOUMANY AGENCE FRANCE-PRESSE Un père pleure la mort de son bébé d’un an, victime d’un bombardeme­nt des forces d’Al-Assad à Douma, une ville tenue par les rebelles.
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