Le Devoir

Syrie : et après ?

Au-delà de la guerre de mots entre la Russie et les États-Unis, le conflit reste entier au lendemain de l’attaque punitive

- MARCO FORTIER

Les États-Unis et la Russie ont échangé de sévères mises en garde, vendredi, au lendemain de l’attaque-surprise américaine contre une base aérienne du régime de Bachar al-Assad.

La poussière est à peine retombée sur la base militaire d’Al-Chaayrate, en Syrie, ciblée par 59 missiles Tomahawk américains. Mais vendredi, les bombardeme­nts ont fait place à une guerre de mots. Cette première interventi­on militaire américaine contre le régime Assad depuis le début du conflit, il y a six ans, a piqué au vif le président russe, Vladimir Poutine, qui défend le gouverneme­nt syrien depuis 2015. Un porteparol­e du président russe, Dmitri Peskov, a dénoncé l’attaque « illégale » lancée par les États-Unis.

Nikki Haley, ambassadri­ce américaine aux Nations unies, a répliqué que le président Donald Trump est prêt à frapper de nouveau. « Les États-Unis ont répondu de façon très modérée hier soir. Nous sommes prêts à en faire plus, mais nous souhaitons que ce ne soit pas nécessaire», a-t-elle dit vendredi.

Trump et Poutine sont imprévisib­les, fait remarquer un expert

Des experts s’attendent à une escalade de la guerre verbale entre les présidents Trump et Poutine au cours des prochains jours. Mais il est peu probable que le conflit vire à l’affronteme­nt militaire entre les deux puissances, selon eux.

La Russie a convoqué une réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations unies. Le Pentagone, de son côté, a déclenché une enquête sur le rôle présumé de la Russie dans l’attaque chimique de mardi, qui a tué au moins 80 personnes, dont des femmes et des enfants, dans la ville rebelle de Khan Cheikhoun, en Syrie.

Le président Donald Trump a attribué au régime de Bachar al-Assad la responsabi­lité de cette attaque « odieuse », qu’il a qualifiée de « honte pour l’humanité ». Le président syrien s’est défendu d’avoir attaqué son propre peuple avec ce qui ressemble à du gaz sarin, une arme hautement toxique qui est interdite par des traités internatio­naux.

La communauté internatio­nale a largement appuyé l’attaque américaine contre la base syrienne et estime que le régime Assad est responsabl­e du massacre à l’arme chimique de cette semaine.

Des chefs imprévisib­les

Des experts estiment que tout peut arriver en raison de la personnali­té de Trump et de Poutine. Mais les États-Unis comme la Russie n’auraient rien à gagner d’une escalade militaire.

«Les deux hommes sont imprévisib­les, dit Houchang Hassan-Yari, professeur au Départemen­t de science politique du Collège militaire royal du Canada, à Kingston en Ontario. La personnali­té de Poutine est un peu comme celle de Trump. Il veut être apprécié comme un chef solide, qui ne recule pas devant l’adversaire. On peut penser que les deux vont essayer de sauver la face dans les prochains jours.»

L’attaque-surprise aux missiles Tomahawk, lancée à partir de deux navires stationnés dans la mer Méditerran­ée, représente tout un revirement dans la position de Donald Trump, note M. Hassan-Yari. Jusqu’à la semaine dernière, le président américain s’accommodai­t de la présence de Bachar al-Assad à la tête de la Syrie.

Trump avait aussi émis plusieurs mises en garde contre une interventi­on américaine après l’attaque chimique qui avait fait des centaines de morts (jusqu’à 1800, selon l’opposition syrienne) en août 2013 en banlieue de Damas. Le président Barack Obama avait renoncé à bombarder le régime Assad, même si celui-ci avait franchi la «ligne rouge» évoquée par Washington — le recours aux armes chimiques.

Obama n’était pas intervenu par crainte de répéter l’erreur commise avec l’invasion de l’Irak en 2003, rappelle Thomas Juneau, professeur adjoint à l’École supérieure d’affaires publiques et internatio­nales de l’Université d’Ottawa. Le prédécesse­ur de Donald Trump craignait que la chute de Bachar al-Assad aggrave le chaos en Syrie, comme c’est arrivé en Irak après la défaite de Saddam Hussein. Les officiels américains ont sans doute rappelé ce risque au président Trump.

Le danger de s’embourber

«Il y a un risque d’engrenage, de la pente glissante pour les Américains, dit Thomas Juneau. Si le régime Assad s’effondrait, on se ramasserai­t dans une éventuelle situation post-conflit où on n’aurait pas d’institutio­ns étatiques pour reconstrui­re la Syrie. Le régime Assad, on a l’impression qu’il est fort, qu’il domine l’opposition, mais ce n’est pas vrai: il est extrêmemen­t fragile, il survit parce que l’opposition est encore plus faible. »

Le professeur estime que l’attaque de jeudi ne change rien au conflit syrien pour le moment. « C’est un conflit figé, un conflit qu’aucun parti, que ce soit le gouverneme­nt Assad ou un des groupes de l’opposition, ne peut gagner. »

Le président Trump a indiqué que la frappe américaine visait à dissuader le régime syrien de recourir aux armes chimiques. Rien de plus, pour l’instant. La réplique ferme et agressive des Russes n’est pas étonnante, selon Thomas Juneau. Il croit cependant que le président Poutine n’a aucun avantage à chercher l’affronteme­nt militaire avec Washington, tout simplement parce que les États-Unis ont « infiniment plus de moyens que les Russes ».

« La Russie a gagné beaucoup d’influence en Syrie depuis deux ans, d’abord et avant tout parce que les Américains étaient relativeme­nt peu présents. Donc, l’objectif de la Russie, c’est que les Américains demeurent relativeme­nt peu présents. Comment faire ça aujourd’hui pour les Russes? En évitant une escalade. Mon impression, c’est qu’ils vont essayer de calmer le jeu pour éviter d’entraîner les Américains dans ce conflit-là», dit M. Juneau.

L’actualité nous force à reporter la publicatio­n de notre dossier sur la thérapie génique.

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JEWEL SAMAD AGENCE FRANCE-PRESSE Aux Nations unies, les représenta­nts de la Russie et des États-Unis, Vladimir Safronkov et Nikki Haley, ont croisé le fer.
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