La menace toxique.
La convention mondiale interdisant les armes chimiques, fortement appuyée par le Canada, a-t-elle échoué ?
Faut-il voir dans le raid à l’arme chimique sur la petite ville syrienne Khan Cheikhoun, survenu au début de la semaine, nouvelle utilisation de ces armes un échec du traité mondial les bannissant? Entrevue avec le professeur Walter Dorn, docteur en chimie et professeur au Collège des Forces canadiennes de Toronto.
Je pense que l’attaque aérienne américaine sur la base aérienne syrienne était moralement justifiée, même si elle n’était pas légalement justifiée. Parce que les Russes ont imposé leur veto à une demi-douzaine de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU sur la Syrie, les États-Unis avaient le droit moral d’utiliser la force en réponse aux attaques répétées aux armes chimiques du gouvernement syrien et aux violations d’autres dispositions du droit international.
Que savons-nous de l’origine de ces armes chimiques? D’où viennent-elles? Comment sontelles produites?
Les armes utilisées dans les récentes attaques peuvent avoir été récemment produites ou produites plus tôt et cachées aux inspecteurs internationaux. Elles ont pu être réalisées en détournant des produits chimiques d’une industrie non militaire. Plus d’enquêtes sont menées en ce moment pour déterminer la nature et la source de ces armes interdites.
Quel rôle a joué le Canada dans l’adoption de la convention mondiale les interdisant, et comment ce rôle se compare-t-il à celui tenu dans les négociations du traité pour l’interdiction des mines antipersonnel signé à Ottawa à peu près au même moment?
Le Canada a joué un rôle de premier plan dans la négociation de la CIAC. En fait, un Canadien présidait les travaux quand le traité a abouti en 1993. Il a été signé à Paris au bâtiment de l’UNESCO par plus de 120 pays, dont le Canada. Le rôle du pays dans l’autre traité, celui sur les mines antipersonnel, était encore plus grand. Le Canada a donné une impulsion politique aux négociations à un moment clé (1996) et a accueilli la conférence de signature à Ottawa (1997). Par conséquent, le traité est souvent appelé la Convention d’Ottawa.
On entend souvent que la CIAC est l’un des grands succès du désarmement mondial? Êtesvous d’accord?
Oui. En fait, les deux traités ont été d’excellents succès. Mais la Convention sur l’interdiction des armes chimiques totalise plus de signatures, soit 192, tandis que la Convention d’Ottawa rassemble 162 États, ce qui ne comprend pas les États-Unis, la Russie et la Chine. Les deux traités ont encadré l’élimination de plusieurs milliers d’armes. La Syrie a été le dernier pays à signer la CIAC, ce qu’elle a fait en 2013 sous une pression immense, dont la menace des attaques aériennes américaines.
L’utilisation répétée d’armes chimiques en Syrie et la nouvelle attaque de cette semaine ne sont donc pas le signe de l’échec, sinon de la convention, au moins du secrétariat chargé des inspections?
L’utilisation répétée d’armes chimiques, y compris la semaine dernière, est un signe que la CWC n’a pas été respectée. Mais la Syrie a permis plus tôt à la communauté internationale de détruire ses stocks de plus de 1000 tonnes d’armes chimiques et de précurseurs. Les forces gouvernementales peuvent encore avoir caché quelques armes et ont utilisé des armes chimiques à plusieurs reprises, causant des pertes horribles.
Quels sont les autres États possiblement en violation de la CIAC?
La Syrie est le principal contrevenant au traité, car elle est le seul État à l’avoir signé et à avoir ensuite utilisé des armes chimiques aux combats. D’autres violations du traité paraissent relativement mineures, par exemple de longs retards dans le parachèvement de la destruction de stocks nationaux.
Outre les armes nucléaires, quelles autres armes de destruction massive (ADM) menacent le plus l’humanité?
L’Organisation des Nations unies établit trois catégories d’ADM: les armes nucléaires, chimiques et biologiques. Ces dernières représentent une menace pour l’humanité, car la libération volontaire de nouveaux germes pourrait provoquer des pandémies. Un grand nombre de personnes pourraient mourir à mesure que les virus ou les bactéries se multiplient. Il y a eu heureusement
très peu d’exemples — et seulement dans des cas très isolés — d’utilisation d’armes biologiques au cours des cent dernières années.
Êtes-vous préoccupé par l’utilisation possible de ces ADM par des groupes terroristes?
Oui, cela reste une préoccupation majeure. Heureusement, les armes nucléaires sont très difficiles à obtenir. De plus, il existe un tabou fort contre les armes biologiques, qui libèrent des germes mortels pouvant infecter n’importe qui, y compris les planificateurs et leurs amis. L’utilisation des armes chimiques semble plausible. Elles ont été utilisées par un groupe terroriste dans une attaque dans le métro de Tokyo en 1995, tuant une douzaine de personnes. Il aurait pu y avoir plus de morts. Par chance, les dispositifs n’ont pas diffusé le poison comme prévu.
Que proposez-vous aux structures mondiales pour mieux contrôler la production et l’utilisation d’armes chimiques?
Chose certaine, le monde doit augmenter la capacité des organismes de contrôle des armements, y compris celles des Nations unies et de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques. Ces organismes mondiaux devraient avoir plus de droits pour les inspections, un meilleur équipement, une plus grande coopération des gouvernements et davantage de ressources.
Comment jugez-vous l’attaque américaine en Syrie? Le monde doit augmenter armements» la capacité des organismes de contrôle des Walter Dorn, professeur au Collège des Forces canadiennes de Toronto