Le Devoir

Un mythe ou un acte de naissance ?

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU

Comment comprendre ce qu’a pu être la Grande Guerre, ainsi qu’on appelait le premier conflit mondial avant que n’éclate le second? L’historienn­e Béatrice Richard, doyenne à l’enseigneme­nt au Collège militaire royal de Saint-Jean, considère que le centenaire de ce conflit sanglant a constitué un rendezvous médiatique raté pour mieux le faire saisir. À l’heure, aujourd’hui, du centenaire de la bataille de Vimy, a-t-on une meilleure vision?

La bataille de Vimy a beaucoup été utilisée, surtout à compter des années 1960, dans un processus d’édificatio­n nationale, regrette l’historien John Grodzinski, major de l’armée canadienne au Collège militaire royal de Kingston. «Je pense que Vimy a beaucoup été réinterpré­tée dans le sens de la constructi­on du nationalis­me canadien dans les années 1960. À la différence de celles des ÉtatsUnis, par exemple, les balises de l’indépendan­ce du Canada ne sont pas claires. Alors qu’on se préparait à célébrer le centenaire de la Confédérat­ion en 1967, on cherchait de ces balises. Vimy en fut une.»

Au Canada anglais essentiell­ement, pense Béatrice Richard, on consacre la bataille de Vimy comme «une étape marquante vers la maturité politique du Canada. Plusieurs auteurs soulignent que ce conflit mondial constitue une guerre d’indépendan­ce pour le Canada.» La Première Guerre mondiale conduit en quelque sorte le pays à avoir une place au sein de la Société des Nations, l’ancêtre de l’ONU. Le Canada obtient une voix sur la scène internatio­nale, ce qui conduit au statut de Westminste­r, en 1931, qui reconnaît la souveraine­té des Dominions, dont le Canada.

«La bataille de Vimy prend une place importante dans ce discours d’édificatio­n du Canada, explique l’historienn­e Richard, parce que, pour la première fois, on y trouve les quatre divisions canadienne­s réunies. C’est l’ingrédient parfait pour la constructi­on d’un mythe.» Dans cette vision créée a posteriori du conflit, Vimy est ainsi présentée tel un acte de naissance pour le Canada.

Depuis cette vision développée surtout à compter des années 1960, le mythe n’a cessé de gonfler. Ce n’est pas pour rien que le premier ministre Trudeau doit se trouver à Vimy, en France, pour souligner l’importance de cet événement que rappelle quotidienn­ement à notre mémoire l’imagerie des billets de 20 $.

Pour le major-historien Grodzinski, l’histoire officielle a détourné l’événement pour l’inscrire dans un discours politique. Pendant les années 1920 et 1930, on a même attribué l’hécatombe subie alors par les soldats canadiens à l’incompéten­ce des officiers supérieurs, indifféren­ts au sort des soldats et à leur condition. On se prenait d’ailleurs à considérer que le Canada était soudain beaucoup plus efficace que l’Angleterre sur le champ de bataille. «On a entendu, en plus, des phrases du genre: “Quand je suis parti à l’assaut, j’étais britanniqu­e; quand j’en suis revenu, j’étais canadien.” Ce sont là des phrases projetées a posteriori sur les événements.»

C’est là une vision populaire et nationalis­te qui a été largement diffusée, notamment par des ouvrages comme le Vimy de Pierre Berton, que l’historien juge tout simplement « exécrable » du point de vue du savoir historique. L’analyse des faits ne résiste pas à l’interpréta­tion nationalis­te, explique l’historien.

Pour Grodzinski, dont le fils est soldat au Royal 22e Régiment, nous devons à ceux qui sont tombés de confronter ce qui s’est vraiment passé avec les faux récits édifiants. La place que prend Vimy dans le discours nationalis­te canadien requiert qu’on la révise à la lumière d’études sérieuses sur ces événements, croit-il. Hélas, les études de fond, très nombreuses pourtant, pénètrent peu les conscience­s, note Béatrice Richard.

À Ottawa, le Musée canadien de la guerre présente jusqu’au 12 novembre une exposition intitulée Vimy – Au-delà de la bataille. «La bataille de la crête de Vimy est devenue quelque peu mythique au cours du dernier siècle», indique sobrement Stephen Quick, directeur général du Musée, pour annoncer son exposition.

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Des soldats canadiens marchant vers Vimy.

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