Le Devoir

Les Syriens soulagés, mais pas dupes

- LISA-MARIE GERVAIS

Même si elle n’est pas dupe quant aux motifs réels qui ont suscité l’attaque américaine contre le régime de Bachar al-Assad, la communauté syrienne trouve un soupçon d’espoir dans cette première réponse aux souffrance­s vécues par le peuple syrien.

Hussam Al Fakir, orthodonti­ste bénévole pour UOSSM-Canada, une ONG d’aide médicale active en Syrie.

« Personne ne serait content de voir l’aéroport de son pays détruit. Mais quand on réalise que c’est de [là] que les avions qui ont tué tant de gens ont décollé, c’est une bonne nouvelle!» dit-il. Barack Obama avait créé beaucoup d’espoir en promettant d’agir si la fameuse ligne rouge (« thin red line ») était franchie. Depuis six ans, de nombreuses autres attaques chimiques ont pourtant été perpétrées, en plus des bombardeme­nts aériens. « C’est la 1re fois qu’on semble dire: “Assez c’est assez!” On ne cherche pas à ce que les pays étrangers se lancent dans une guerre qui n’est pas la leur, mais juste à ce qu’ils arrêtent le dictateur qui cible les civils. » Fin 2016, un rapport de UOSSM révélait que sur 107 hôpitaux en Syrie, tous avaient été bombardés au moins trois fois. « Un hôpital nous a dit avoir été bombardé 25 fois!» s’indigne le Dr Al Fakir.

Joulnar El-Husseini, interprète et membre de la communauté syrienne.

« On jubile, on est contents. Enfin, il y a une réaction sérieuse envers Assad, et pas seulement : “On est désolés pour vous”, dit-elle. On sait très bien que Trump ne fait pas ça pour nos beaux yeux. Ce n’est pas un super stratège. » Sur les réseaux sociaux, elle observe des sentiments partagés. «Est-ce que Trump va simplement lui tirer l’oreille [à Assad] ou aller plus loin ? » demande-t-elle. Plusieurs Syriens espèrent que des missiles tomahawks visent directemen­t le palais présidenti­el de Bachar al-Assad. « Est-ce que ça va s’arrêter là? C’est ce qu’on se demande tous. »

Faisal Alazem, directeur de la stratégie pour la Fondation des enfants syriens.

Ce leader de la communauté syrienne estime que ce sont les vidéos d’enfants syriens blessés ou décédés par l’attaque chimique qui ont frappé l’opinion publique, comme ce fut le cas en 2015 avec la photo du petit Aylan Kurdi, mort noyé en Turquie.

« On se dit que ça aurait pu être nos enfants. Ça a influencé le politique. C’est l’une des rares fois où je sens qu’il y a un consensus au Congrès américain. » Bien que « surprenant­e », il juge positive l’interventi­on de Trump. « [Avant], tout ce qui l’intéressai­t, c’était “Make America Great Again”. » Mais cette empathie soudaine, dit-il, pourrait n’être qu’une façon de prouver au Congrès qu’il n’est pas sous le joug de Vladimir Poutine. Comme d’autres, ce leader se demande si cette riposte n’est qu’un simple avertissem­ent ou si elle marque le début d’un mouvement internatio­nal pour déloger Bachar al-Assad. « Est-ce symbolique ? Y a-t-il un réel plan?» se demande ce Syrien. « On souhaite tous une solution sur le front de l’interventi­on, mais aussi sur le plan diplomatiq­ue. La grande majorité des Syriens rejette la radicalisa­tion et la dictature. C’est leurs voix qu’on doit enfin entendre. »

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