Trouver le temps de faire bouger les enfants
Les écoles se creusent la tête pour inclure davantage de sport dans leur programme
Tout le monde est pour la vertu… en principe. Or, comment s’y prendra-t-on pour ajouter une heure d’activité physique par jour à l’école comme le préconise le gouvernement? En encadrant les récréations ou en faisant des additions sur le chemin des toilettes? Tour d’horizon d’un enjeu plus problématique qu’il n’y paraît.
Depuis 2013, Marie-Claude Lemieux forme des enseignants pour qu’ils fassent bouger les écoliers dans le cadre du programme Actifs au quotidien dans la région de Québec.
« On va faire des mathématiques ou du français en utilisant une règle géante au sol, une marelle, des cerceaux. » Plutôt que de se déplacer sagement en file, les enfants sont encouragés à marcher en pingouins par exemple.
Malgré le succès du projet, Mme Lemieux a été surprise par les réticences de certains professeurs, plus soucieux de l’ordre et de la sécurité. Dans la cour de récréation, par exemple, elle constate qu’il faut éviter de «confier la surveillance à quelqu’un qui, d’entrée de jeu, va interdire [certaines choses] parce que ça le stresse».
Or, la file en pingouins n’est pas pour autant chaotique, plaide Mme Lemieux. «En le vivant, [les enseignants et éducateurs] se rendent compte que c’est beaucoup moins de gestion s’ils leur proposent de faire le pingouin que s’ils attendent que les enfants arrêtent de parler et de se pousser.»
Le milieu enseignant et l’école elle-même sont campés dans un moule difficile à concilier avec le mouvement et l’activité physique, constate Bertrand Nolin, kinésiologue à l’Institut national de la santé publique (INSPQ). «L’école est un environnement où tu es, la majorité du temps, assis en train d’écouter ce que ton professeur dit. Du point de vue de la santé des jeunes, c’est, à mon avis, le principal problème.»
La Société canadienne de physiologie de l’exercice, dit-il, recommande que les jeunes ne passent pas plus de trois heures par jour devant des écrans et un minimum de temps assis en continu. «Comment est-ce que c’est compatible avec notre système d’enseignement et même l’organisation du travail? se demande-t-il sans pouvoir fournir de réponses. C’est une question qui commence à être au centre de nos préoccupations en santé publique. »
À l’heure actuelle, seulement 59% des jeunes (6 à 11 ans) font de l’activité physique pendant leur temps libre. Une proportion qui descend à 44% chez les ados et qui est particulièrement basse chez les filles.
C’est pour renverser cela que le ministre de l’Éducation lançait lundi la Politique de l’activité physique, du sport et du loisir, qui vise à augmenter cette proportion de 20% dans toutes les catégories.
La décision du ministre de s’allier dans cette cause au triathlète Pierre Lavoie a beaucoup fait jaser cette semaine. Lavoie, faut-il le rappeler, a eu un grand impact dans le milieu scolaire avec ses courses et ses fameux «cubes énergie» (formule par laquelle les enfants — et leur famille — accumulent des cubes chaque fois qu’ils pratiquent du sport dans l’espoir d’obtenir des récompenses).
Les projets que le GDPL a soumis au ministre ciblent les plus jeunes (CPE et niveau primaire). Pour les faire bouger, on table sur la technologie (des capsules vidéo), l’achat d’équipement et l’éducation des saines habitudes de vie.
À la recherche de l’heure perdue
Reste à savoir où on pigera dans l’horaire des écoliers pour libérer une heure de temps par jour. M. Lavoie disait cette semaine qu’il entendait commencer par utiliser les deux périodes de récréation (15 minutes chacune).
Or, certains trouvent que c’est aborder le problème à l’envers. Les enfants manquent au contraire de temps où on les laisse bouger comme ils l’entendent, selon le professeur Mathieu Point de l’Université du Québec à TroisRivières. «C’est par les jeux libres à l’extérieur que les enfants atteignent les niveaux recommandés au niveau de l’activité physique. […] Ce qui est paradoxal, c’est qu’on vient encore structurer leurs activités», dit-il.
Les enfants bougent moins parce qu’ils souffrent d’un «déficit nature», ajoute-t-il. « C’est à l’extérieur qu’ils sont amenés à bouger par euxmêmes », mais pas dans le cadre « d’activités », prévient-il. «Prévoir des activités extérieures pour les enfants, c’est encore les encadrer. Il faut leur offrir plutôt des occasions, du temps», dit-il.
Au Québec, certaines écoles ont déjà entrepris de s’en prendre à ce déficit nature ; ce sont les écoles « Santé globale » instaurées en Estrie. «Le plein air, c’est notre cheval de bataille», explique l’un des responsables, Ghislain Demers. Lancé au tournant de l’an 2000, le programme est déployé dans une trentaine d’écoles primaires et secondaires. Cette semaine, l’une d’elles envoyait des groupes du secondaire en excursion en montagne dans l’Ouest canadien.
Pour trouver du temps, d’autres misent plus simplement sur le contenu des cours. C’est le cas de la bien nommée école primaire Pierre-De-Coubertin à Montréal-Nord, où on a ajouté des périodes d’éducation physique. « Tous nos élèves font au moins une heure par jour d’éducation physique», explique son directeur, Stéfano Sabetti.
Le régime pédagogique inclus laisse à l’école sept heures d’enseignement, qu’elle peut allouer aux matières de son choix, et l’École Pierre-De-Coubertin a tout simplement décidé de les allouer toutes au sport. Mais attention, dit M. Sabetti, «on ne peut pas reproduire notre modèle n’importe où. Ça dépend de la qualité du milieu, des infrastructures, des partenariats possibles avec la communauté».
Gruger où on peut
Ailleurs, on va grignoter du temps par petits morceaux un peu partout dans l’horaire, selon les besoins. À la Commission scolaire des portages de l’Outaouais, par exemple, on table notamment sur les déplacements entre la maison et l’école, explique la directrice Nadine Peterson. «Malheureusement, plusieurs parents viennent reconduire leur enfant à l’école même s’ils sont à distance de marche.» On leur a donc proposé la formule des «pédibus », ou trotibus, par laquelle un petit groupe d’enfants est accompagné à pied par un adulte jusqu’à l’école.
«On a aussi fait installer des supports à vélo pour favoriser le transport actif», ajoute-t-elle.
L’école a enfin développé des « midis actifs », où les récréations sont «animées» notamment par des élèves plus âgés. Là comme ailleurs, les professeurs d’éducation physique travaillent étroitement avec les professeurs réguliers et souvent avec les responsables des services de garde.
On le voit : des projets émanent déjà d’un peu partout au Québec pour faire bouger les jeunes et, de l’aveu même de l’équipe du Grand Défi Pierre Lavoie (GDPL), ce sont de bonnes sources d’inspiration.
Pourquoi donc recourir au GDPL si les écoles se mobilisent déjà ? «Oui, il y a des écoles qui font déjà des choses, mais il y a 2000 écoles au Québec, et notre objectif est d’en rejoindre 450 sur une base volontaire », nous répond-on au cabinet du ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx. Le programme avec le GDPL cible en outre les écoles qui autrement n’auraient ni l’expertise pour se lancer dans ce genre de projet ni l’initiative de le faire, poursuit-on.