La création abandonnée par le politique ?
Alors que le ministre de la Culture, Luc Fortin, se réjouit de l’enveloppe accordée à la culture lors du dernier budget Leitão, le milieu des arts s’insurge de voir qu’on n’y donne pas la possibilité au Conseil des arts et des lettres (CALQ) de rattraper le manque à gagner financier, qui lui permettrait à la hauteur de l’inflation de financer entre autres la recherche, la création, le temps passé à tenter de trouver ce que seront les prochaines écritures artistiques. Une tendance se dessine, là comme ailleurs au pays: celle de délaisser de plus en plus ce financement de la création, coeur même de toute la production culturelle. En lieu et place: des crédits d’impôt — qui, par définition, encouragent la production plus que la recherche —, ou un soutien culturel associé à une célébration, un festival ou un événement ponctuel — 375e de Montréal, 150e de la Confédération, et tutti quanti. La création est-elle en train d’être abandonnée par le politique? Et le CALQ serait-il trop indépendant pour que les partis gagnent à y investir?
Sharon Jeannotte, professionnelle en résidence à l’Université d’Ottawa, a analysé et comparé depuis 2012-2013 les budgets culturels provinciaux de tout le Canada. L’exercice fait en 2015-2016, cosigné avec Alain Pineau, sera le dernier, faute… de financement pour poursuivre l’analyse. Dans In Search of the Creative Economy, la spécialiste en politiques culturelles notait une propension nationale à vouloir miser sur le tourisme culturel. Mais aussi une tendance marquée, au Québec également, à utiliser de plus en plus les crédits d’impôt comme mesure de financement aux arts, ainsi que de lier le soutien à une célébration spéciale.
Autrement, l’argent se dirige davantage vers la production. Et semble favoriser également les oeuvres et produits culturels grand public, les esthétiques poreuses, le déploiement, le spectaculaire. Ce qui ne serait pas problématique si la recherche, la question artistique pointue, la tentative d’avant-garde gardaient les moyens minimaux pour poursuivre un parcours parallèle.
«Le gouvernement n’aime pas le système d’attribution du financement du CALQ, croit le codirecteur du Festival TransAmériques, David Lavoie, car ce système ne permet pas au parti au pouvoir de profiter des tribunes d’annonce du financement aux artistes. Les seules occasions dont dispose encore le ministère de la Culture pour briller politiquement sont liées aux programmes qu’il gère: investissements dans les infrastructures, Mécénat Placements culture et mesures ciblées (le numérique, le numérique et encore le numérique…).»
Garder son indépendance
Le CALQ, institué en 1994, permet au milieu artistique de conserver une certaine indépendance puisque tout y est accordé à la suite des évaluations par les pairs, par des collègues artistes en d’autres mots, qui connaissent les réalités du milieu et préfèrent en général les impératifs artistiques aux politiques. « C’est un système remarquable qui permet de poser une réflexion
structurante sur les écologies artistiques, poursuit M. Lavoie, aussi coprésident du Conseil québécois du théâtre (CQT). Aucun système n’est parfait, mais c’est à mon avis le “moins pire de tous” que nous avons réussi à instaurer.»
Certaines générations d’artistes ont réussi à aller chercher là le soutien adéquat à la création d’oeuvres importantes et pour se positionner à l’échelle nationale et internationale, indique David Lavoie, nommant par exemple les Lepage, Marleau ou Chouinard. « Le problème, c’est que depuis ce temps-là, on n’a pas réussi à positionner de la même manière de nouveaux créateurs. Et depuis plus d’une décennie, nous sommes incapables de relever les défis du changement qui se posent à nous» par manque d’investissements financiers, pense l’administrateur culturel.
Karl Fillion, attaché de presse du ministre de la Culture Luc Fortin, souligne que ce dernier a reçu le dernier budget avec beaucoup d’enthousiasme. «En plus de maintenir le soutien à la mission de la SODEC et du CALQ, le budget prévoit une augmentation des crédits de 19 millions cette année (703 millions au total) pour favoriser la création et le rayonnement international de la culture québécoise.»
«Mais l’international, c’est le troisième degré de développement pour un organisme artistique ! rétorque M. Lavoie. En premier, il faut pouvoir faire de la recherche; puis créer et diffuser sur son propre territoire; ensuite seulement on peut s’imaginer aller à l’étranger. Mais tout part et doit toujours partir de la création même. La rumeur veut par ailleurs que dans les mémoires qui ont été déposés lors de la consultation [publique sur la prochaine politique culturelle provinciale], très peu parlaient de l’enjeu du développement international. » De là à penser que c’est parce que les organismes n’en imaginent même plus la possibilité, par manque d’investissement dans le germe créatif même, il n’y a qu’un pas.
Quand on se compare
Pourtant, dans le portrait pancanadien, « Québec est un leader en financement de la culture, par le montant qui été traditionnellement investit là, estime Mme Jeannotte. Il y a quelques problèmes, bien sûr, comme les fluctuations sur les crédits d’impôt, entre autres pour le cinéma. Québec n’est pas constant. Mais le résultat général, comparé aux autres provinces, est des plus positifs.» Il est certain, ajoute pourtant Mme Jeannotte, que «dans une période d’austérité radicale imposée, les artistes ont raison d’être inquiets, anxieux même». Avant cette période, la culture avait pourtant contribué, en 2010, selon les chiffres collectés alors par Statistique Canada, à 3% du PIB du pays (3,5% du PIB du Québec) et 3,7% des emplois (3,9% au Québec). Encore une comparaison? L’agriculture, la pêche et la chasse ont contribué à moins de 2%; les services d’hébergement de restauration, juste un peu plus de 2 %.
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Le gouvernement n’aime pas le système d’attribution du financement du CALQ , car ce système ne permet pas au parti au pouvoir de profiter des tribunes d’annonce du financement aux artistes David Lavoie, codirecteur du Festival TransAmériques