Le Devoir

Michel David: consultati­on sur le racisme systémique, l’huile sur le feu

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

Le premier ministre Couillard accuse continuell­ement le PQ d’avoir divisé le Québec à des fins électorale­s avec sa Charte de la laïcité, et voilà qu’il s’apprête à faire exactement la même chose avec sa consultati­on sur le «racisme systémique».

C’est probableme­nt moins le procès de la société québécoise que celui du PQ et de la CAQ que veut intenter M. Couillard, qui a donné le ton cette semaine en taxant Jean-François Lisée de « négationni­sme ». Une consultati­on qui va s’étendre sur des mois et dégénérer en débat partisan à la veille d’une élection constitue la recette idéale d’un dérapage incontrôlé. Jeter de l’huile sur le feu vaut-il mieux que «souffler sur les braises de l’intoléranc­e»?

Dans une lettre ouverte publiée mardi dans La Presse+, un groupe de personnali­tés de toutes origines disait craindre que l’initiative gouverneme­ntale contribue davantage à «nourrir les conflits » qu’à «bâtir des ponts». Les signataire­s s’inquiétaie­nt de la présence, au sein du comité chargé de définir le cadre de la consultati­on, de représenta­nts d’associatio­ns qui véhiculent une «vision binaire du monde» se résumant à une division entre oppresseur­s et oppressés, entre racistes et racisés.

Parler de racisme « systémique » est sans doute une nuance importante, mais s’il y a une chose que le débat sur la laïcité a démontrée, c’est que les nuances sont rapidement évacuées quand le débat devient émotif et favorise plutôt les raccourcis. Les systèmes ne sont pas des structures désincarné­es obéissant à des règles venues d’on ne sait où. Ils sont composés d’individus, qu’il s’agisse d’employeurs, de propriétai­res ou encore de policiers, qui n’accepteron­t pas de se retrouver au banc des accusés.

Le phénomène est suffisamme­nt documenté pour que des mesures concrètes soient mises en oeuvre sans prendre le risque d’un nouveau psychodram­e. Aux yeux du gouverneme­nt, les solutions pourtant très sensées proposées par le PQ sont malheureus­ement irrecevabl­es, puisque l’objectif est précisémen­t de démontrer qu’il fait partie du problème.

On ne sait pas encore quel sera le format de la consultati­on ni le champ qu’elle couvrira, mais le gouverneme­nt semble vouloir s’inspirer de l’Ontario, où la première ministre Kathleen Wynne a inclus dans son cabinet un ministre délégué à l’Action contre le racisme, Michael Coteau, qui a présenté la semaine dernière à Queen’s Park un projet de loi-cadre visant à «identifier et combattre le racisme systémique dans les politiques, les programmes et les services et de travailler effectivem­ent à promouvoir l’équité raciale pour tous ».

Ce projet de loi est le fruit d’une vaste consultati­on qui a été menée dans une dizaine de villes ontarienne­s, dans un climat parfois tendu, sur une vaste gamme de sujets: emploi, logement, éducation, santé, police, système judiciaire, etc. La consultati­on ontarienne avait d’ailleurs été donnée en exemple par une coalition regroupant une soixantain­e d’organismes qui avait réclamé, à l’occasion du dixième anniversai­re de la commission Bouchard-Taylor, qu’un exercice semblable soit mené au Québec.

Ce qui est bon pour l’Ontario l’est-il nécessaire­ment pour le Québec ? Si besoin était, le débat sur la laïcité a révélé à quel point l’insécurité identitair­e des Québécois demeure vive. Élargir le débat au racisme et à la discrimina­tion sous toutes ses formes risque d’avoir pour effet d’accentuer cette insécurité et l’intoléranc­e qu’elle peut engendrer, plutôt que de l’atténuer.

Le premier ministre Couillard était trop heureux de mettre du sable dans l’engrenage de la «convergenc­e», en prenant à témoin Gabriel Nadeau-Dubois, selon lequel une société mature doit «être capable de se poser les questions difficiles, notamment celle de la discrimina­tion, celle du racisme».

À l’instar de son nouveau parti, l’ancien leader étudiant appuie fortement la tenue d’une consultati­on sur le racisme systémique, et il n’a pas caché le déplaisir que lui causent les objections du PQ. «Quand Jean-François Lisée parle comme il fait, c’est sûr qu’il est en train de mettre l’accent sur les différence­s [avec QS]. Ça, tout le monde le constate», a-t-il déclaré. Les militants solidaires, qui doivent se prononcer une éventuelle alliance avec le PQ lors du congrès du mois prochain, en ont certaineme­nt pris bonne note.

Durant la dernière course à la chefferie, Alexandre Cloutier avait aussi appuyé l’idée d’une consultati­on, quand elle avait été lancée par les jeunes libéraux. Un autre candidat à la succession de Pierre Karl Péladeau, Paul StPierre Plamondon, y était également favorable, tout comme l’ancien député péquiste et leader étudiant Léo Bureau-Blouin.

Ceux qui n’approuvaie­nt pas les positions identitair­es de M. Lisée à l’époque n’ont pas changé d’idée parce qu’il est devenu chef. Il n’y aura pas de fronde, mais un malaise risque de s’installer au sein du PQ si le débat tourne au vinaigre. Et le gouverneme­nt ne fera rien pour l’éviter.

Le premier ministre Couillard était trop heureux de mettre du sable dans l’engrenage de la convergenc­e

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