Le Devoir

Faut qu’on se parle de « Us », dit Jean-Marc Fournier

L’Assemblée nationale laisse les commémorat­ions de 1867 à Ottawa, pour marquer le 225e anniversai­re de la naissance des institutio­ns démocratiq­ues

- MARCO BÉLAIR-CIRINO DAVE NOËL à Québec

Tout en se défendant de jouer les rabat-joie, JeanMarc Fournier invite le Rest of Canada (ROC) à profiter du 150e anniversai­re de la fédération canadienne pour «reprendre le dialogue». «Let’s talk about us ! » répétait-il dans le Salon bleu de l’Hôtel du Parlement cette semaine.

Le ministre des Relations canadienne­s mènera tout au long de l’année une tournée — une sorte de «Faut qu’on se parle » — durant laquelle il espère notamment percer les mystères du « psychique » du ROC, à commencer par ceux qui ont réalisé le docudrame Canada: The Story of Us.

«Il y a un os dans Story of Us », a-t-il lancé en chambre jeudi matin après avoir « remercié» l’animateur de L’autre 150e, Stéphane Bergeron, de lui offrir l’occasion de s’exprimer sur la «polémique» entourant le feuilleton historique diffusé sur les ondes de la chaîne anglaise du réseau CBC/Radio-Canada.

Les auteurs de The Story of Us (L’histoire de Nous) ont notamment réduit en miettes 12 000 ans d’histoire amérindien­ne, fait passer à la trappe le Grand Dérangemen­t et tourné en ridicule les figures historique­s françaises. En revanche, ils ont déniché pour interpréte­r le héros britanniqu­e James Wolfe un acteur avenant à la longue chevelure brune — loin des traits du général rouquin maigrelet esquissé par le brigadier George Townshend à l’été 1759. Son opposant français, Louis-Joseph de Montcalm, n’a pas bénéficié d’une distributi­on aussi avantageus­e, à l’instar de Samuel de Champlain et de ses compagnons, qui ont été présentés sous des habits crasseux.

Diversité collective

M. Fournier a demandé des excuses à société d’État — ce à quoi celle-ci s’est refusée. Canada: The Story of Us montre qu’«il est temps que nous reprenions un dialogue “about us”», a insisté l’élu québécois, tout en disant candidemen­t ne pas avoir visionné les deux premiers épisodes de l’émission controvers­ée du diffuseur public.

Il a beau reprocher à l’un et l’autre de fantasmer sur une éventuelle réouvertur­e du débat constituti­onnel près de 30 ans après la tentative de Meech (1987), l’homme politique prend plaisir à bavarder du statut du Québec au sein du Canada.

À l’occasion d’un colloque sur le fédéralism­e canadien tenu récemment sur le campus de l’Université McGill, il avait plaidé pour un fédéralism­e canadien reconnaiss­ant la diversité non seulement individuel­le, mais aussi collective. «La reconnaiss­ance des identités nationales québécoise et aussi autochtone apparaît comme l’aboutissem­ent naturel du projet canadien», avait-il fait valoir, réitérant son «allégeance québécoise » et son « appartenan­ce canadienne». «Nous devons chercher à nous comprendre et à nous connaître, et cela doit être réciproque. Faire connaître ce que nous sommes, ce qui est fondamenta­l pour nous permettre de faire comprendre nos choix, nos priorités, nos visions, nos ambitions. Pour éviter à nos partenaire­s de se surprendre encore à se demander “What does Québec want?”», avait-il conclu.

Dans cet esprit, l’élu québécois ne manquera pas cette année une occasion de rencontrer des «décideurs politiques» à la fois à Ottawa et dans le ROC pour les sensibilis­er aux priorités québécoise­s.

Il a cassé la glace avec les membres du Conseil des ministres de Justin Trudeau à la fin février. Ça n’a pas empêché les honorables Jane Philpott et Mélanie Joly de se donner quelques jours plus tard un franc «high five» après que le Québec, l’Ontario et l’Alberta se sont résignés à signer une entente sur les transferts canadiens en matière de santé. M. Fournier s’est aventuré une nouvelle fois cette semaine dans la capitale fédérale afin de présenter «la position du Québec sur un ensemble d’enjeux» aux élus québécois du groupe parlementa­ire du Parti libéral du Canada (PLC). Il promet de refaire l’exercice prochainem­ent avec leurs homologues des autres formations politiques, sauf le Bloc québécois.

M. Fournier veut aussi voir le gouverneme­nt du Québec, qui dispose actuelleme­nt d’«un réseau de représenta­tion au Canada, composé de deux bureaux situés respective­ment à Toronto et Moncton », être « plus présent dans les capitales provincial­es » dans la foulée des célébratio­ns entourant le 150e anniversai­re de l’Acte de l’Amérique du Nord britanniqu­e (AANB).

Grand recueil

À quoi servira tout cela? À rédiger un livre semblable à l’ouvrage Ne renonçons à rien, des membres de la tournée «Faut qu’on se parle» ou encore une ébauche d’accord constituti­onnel ?

«Je ne veux pas parler de la Constituti­on», martèle M. Fournier. «Je ne fais pas de Constituti­on. Je fais de la compréhens­ion, je fais du dialogue, je fais de l’ouverture, de la réciprocit­é… Je ne peux pas aller à une table constituti­onnelle si on ne se comprend pas, si les gens pensent que “US”, ce n’est pas nous autres. Il faut que les gens se comprennen­t avant de faire des textes juridiques », poursuit-il.

Difficile de savoir si, aux yeux M. Fournier, le fruit est vert, mûr ou pourri. Cela dit, l’avocat soutenait déjà en 1991 que «les difficulté­s que nous attribuons à la Constituti­on ne résident pas tant dans le libellé de celle-ci que dans l’esprit de ceux qui ont pour mandat de voir à son applicatio­n et à son adaptation». «N’est-il pas vrai qu’une constituti­on ne saurait être immuable et que d’empêcher son adaptabili­té pourrait entraîner une répudiatio­n de l’ordre établi par les gouvernés?» avait-il écrit dans son mémoire de maîtrise de l’Université de Montréal.

Le gouverneme­nt québécois soumettra sa « vision » de la «place du Québec au Canada» en marge des activités du 150e de l’AANB, a expliqué le premier ministre Philippe Couillard.

La naissance de la fédération canadienne constitue un «événement historique majeur» à ses yeux. «C’est un progrès, la fédération, le fédéralism­e. C’est une forme avancée de gouverneme­nt humain parce que ça amène des gens à coexister», a-t-il souligné dans un bref entretien avec Le Devoir.

L’Assemblée nationale a choisi de reléguer l’AANB de 1867 derrière l’Acte constituti­onnel de 1791. Les élus de toutes les formations politiques ont donné le coup d’envoi, dans une certaine indifféren­ce, aux commémorat­ions du 225e anniversai­re des Institutio­ns parlementa­ires du Québec, dont la tenue des premières élections générales au Bas-Canada.

Pour l’historien de la Bibliothèq­ue de l’Assemblée nationale Christian Blais, le système parlementa­ire mis en place en 1791 est fondamenta­l, en dépit de ses limites. «À partir de 1792, ce sont les élus du peuple qui font les lois. Ça, c’est une victoire. »

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SOURCE CBC Samuel de Champlain et les autres personnage­s français ont été affublés d’habits crasseux dans Canada: The Story of Us.
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SOURCE MUSÉE MCCORD George Townshend, Portrait du général James Wolfe, 1759. Les traits physiques du général Wolfe se sont trouvés bien changés dans la docusérie, ce dernier étant incarné par un acteur séduisant à la longue chevelure foncée.

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