Le Devoir

Pour la fin de l’impunité pour les génocidair­es et leurs complices !

- BENJAMIN ABTAN Président du Mouvement antiracist­e européen — EGAM, et coordinate­ur du Réseau Elie Wiesel de parlementa­ires d’Europe contre les génocides

Plusieursd­izainesde«hautsgénoc­idaires» rwandais vivent en Europe, en particulie­r en France, trop souvent en toute impunité, sans être inquiétés par la justice [1].

Au cours du génocide contre les Tutsis au Rwanda en 1994, ils ont non seulement pillé, torturé, violé et massacré, mais également planifié, recruté, formé et organisé.

Ce ne sont pas les «petites mains» du génocide, ils comptent parmi ses principaux responsabl­es. Ils sont nombreux à faire l’objet de mandats d’arrêt internatio­naux ou à avoir déjà été lourdement condamnés par contumace par la justice rwandaise pour génocide ou complicité dans le génocide.

Depuis plus de vingt ans, l’Église catholique en protège certains, dont elle participa à l’exfiltrati­on. Parfois elle les cache, parfois elle fait de ces tueurs non repentis des prêtres titulaires, notamment dans des paroisses de villes et de villages français.

Depuis plus de vingt ans, la plupart des hauts génocidair­es vivent en France sans être inquiétés par la justice [2]. Ils n’y sont pas par hasard: c’est l’armée française qui exfiltra du Rwanda et couvrit la fuite de ceux qui venaient d’organiser et de perpétrer l’exterminat­ion de plus d’un million de Tutsis en 1994. Ce fut un des temps forts de la politique de collaborat­ion avec le régime génocidair­e au Rwanda commencée avant, poursuivie pendant et après le génocide par quelques personnes, de gauche comme de droite, alors placées au plus haut niveau de l’appareil d’État français.

Entrave à la justice

L’impunité dont bénéficien­t les hauts génocidair­es rwandais et ceux qui ont collaboré avec eux est aujourd’hui la dernière entrave à la pleine réalisatio­n du travail de justice concernant ce génocide.

En effet, à la suite d’un engagement inédit et exceptionn­el des institutio­ns et de la population rwandaises depuis 1994, plusieurs centaines de milliers de tueurs ont été jugés dans les gaçaças, les juridictio­ns de village, et dans les tribunaux du pays. Le Tribunal pénal internatio­nal pour le Rwanda a quant à lui jugé certains des plus hauts génocidair­es.

Cette impunité qui perdure constitue pour les rescapés une souffrance supplément­aire, pour les jeunes du Rwanda et d’Europe un obstacle dans leur projection vers un avenir partagé, pour tous une impardonna­ble injustice et une scandaleus­e atteinte à l’état de droit.

Notre demande est simple: la fin de l’impunité pour les génocidair­es et leurs complices.

Dans le scrupuleux respect de la séparation des pouvoirs, fondamenta­le à la démocratie que nous chérissons, tous les gouverneme­nts se doivent d’élaborer et de faire appliquer une politique pénale. Il est grand temps que tous les pays concernés, au premier rang desquels la France, inscrivent la poursuite, l’extraditio­n au Rwanda ou le jugement sur leur lieu de résidence actuel des génocidair­es et de leurs complices au coeur des priorités de leurs politiques pénales, afin que la justice passe enfin.

Il est impératif de considérer la fin de l’impunité pour les génocidair­es et leurs complices pour ce qu’elle est : une urgence morale, humaine, sociale, politique, historique, donc une urgence judiciaire.

C’est de la responsabi­lité de notre génération, afin d’offrir aux génération­s suivantes la possibilit­é de construire ensemble un imbere heza, un « bon avenir ».

[1] D’après le procureur général de Kigali, la France en compte 39, la Belgique 37, les Pays-Bas 18, le RoyaumeUni, la Norvège, la Suède et l’Allemagne 5, l’Italie 4, le Danemark 3, la Suisse 2 et la Finlande 1. [2] Il n’y a eu que trois personnes jugées en 23 ans. Si les procès qui ont été organisés l’ont été dans de très bonnes conditions, les procédures judiciaire­s sont tellement lentes que la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour cela (affaire Mutimura c. France, juin 2004).

Cet appel est signé par des centaines de personnali­tés, maires de France, députés européens, anciens ministres, universita­ires, personnali­tés du monde des médias et de la culture, représenta­nts de différente­s associatio­ns.

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