Le Devoir

Jacques Parizeau savait cerner les enjeux importants

- LUC GODBOUT Titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’École de gestion à l’Université de Sherbrooke

Le 12 avril 1977, Jacques Parizeau présentait son premier de huit budgets consécutif­s. En écrivant lui-même chacun de ses discours budgétaire­s, il a marqué la manière de présenter les budgets du Québec, sa plume claire et puissante lui a même valu une critique littéraire dans Le Devoir ! Pour l’histoire, il devient intéressan­t de relire ses discours budgétaire­s et d’analyser les constats qu’il y faisait sur l’état des finances publiques, l’épargne et l’incitation au travail. Ceuxci témoignent qu’il avait à coeur la bonne santé économique du Québec. Certains d’entre eux restent encore aujourd’hui d’une grande acuité, comme s’ils avaient été écrits récemment; d’autres révèlent les avancées du Québec depuis.

D’entrée de jeu, on ne peut cacher qu’ayant eu à produire ses budgets dans la foulée de crises pétrolière­s et de récessions, les déficits réalisés sous sa gouverne, mesurés en proportion du PIB, s’avèrent les plus importants que le Québec ait connus.

Dans son premier discours (1977), Jacques Parizeau allait jusqu’à dire: «Il faut siffler la fin de la récréation. La remise en ordre est non pas seulement importante pour assurer et maintenir le crédit du Québec et de ses institutio­ns. » Il soulignait même : « Il n’y a vraiment qu’une seule façon de dégager une marge de manoeuvre : c’est de sabrer les programmes existants et de réformer la tarificati­on de certains services publics de façon à ce qu’elle reflète mieux le coût encouru par la collectivi­té. » Difficile d’utiliser une formulatio­n plus claire !

Au terme de son dernier discours (1984), il reconnaiss­ait que «maintenant, nous avons ramené le coût des services publics à un niveau plus comparable à ce qui se fait ailleurs en Amérique du Nord. […] Le contrôle de l’expansion des dépenses devra impliquer que l’on procède chaque année à l’examen sélectif d’un certain nombre de programmes». Procéder à un examen annuel des programmes, tiens donc !

Recourir davantage à la tarificati­on

En matière de fiscalité, le constat de son premier discours (1977) était manifestem­ent très limpide : «Les écarts sont tellement élevés qu’il n’est nul besoin de faire la preuve que, dans aucune autre province, le fardeau fiscal combiné provincial et municipal n’est aussi lourd qu’au Québec. » Il soulignait même que « [la tarificati­on] avait été largement sous-utilisée et qu’on avait laissé croire indûment aux contribuab­les que les services publics étaient gratuits». Recourir davantage à la tarificati­on, un débat qui dure depuis des décennies !

Jacques Parizeau n’était pas silencieux au sujet des pressions sur la dette. Dans son discours (1977), il souligne: « [O]n voit maintenant venir le jour où les prestation­s [des régimes de retraite des enseignant­s et des fonctionna­ires] pèseront lourd sur les budgets et il arrivera qu’elles représente­ront un fardeau insupporta­ble. Les projection­s pour les années à venir du montant total des engagement­s sont franchemen­t effrayante­s. Il est donc plus que temps de s’attaquer à contrôler cette sorte d’explosion de l’endettemen­t à venir de l’État. »

S’il croyait au déficit pour stimuler l’économie à court terme et à l’endettemen­t comme outil de développem­ent économique, le regard d’aujourd’hui sur ses budgets révèle un homme qui a dû naviguer dans une mer économique trouble et qui a posé plusieurs gestes contre la dérive budgétaire.

L’épargne et le capital de risque

Jacques Parizeau a innové en matière de fiscalité en créant le Régime épargne-actions (REA) et le crédit d’impôt pour le Fonds de solidarité de la FTQ.

Dans son discours (1979), il crée le REA qui poursuivai­t trois objectifs: la hausse de la participat­ion des Québécois au marché boursier; une meilleure capitalisa­tion des entreprise­s québécoise­s et la réduction du fardeau fiscal des contribuab­les à hauts revenus, mais seulement pour ceux qui acceptent d’investir dans les entreprise­s québécoise­s.

Manifestem­ent, ce programme a accéléré la croissance d’entreprise y ayant eu accès, que l’on pense à Cascades ou à Couche-Tard. Les émissions de capital-actions des moyennes entreprise­s grâce au REA constituai­ent, à ses yeux, l’une des choses les plus importante­s qu’il ait faites sur le plan économique.

Un autre élément de fierté pour Jacques Parizeau était la création des fonds fiscalisés de travailleu­rs. Cette initiative a eu un bon effet pour développer du capital de risque pour les entreprise­s québécoise­s moyenne dimension. De plus, il intégrait dans son analyse d’autres éléments bénéfiques, comme la sensibilis­ation des syndiquées aux réalités financière­s des entreprise­s. Trop souvent, ces considérat­ions échappent au calcul économique.

L’incitation au travail

Jacques Parizeau a été sensibilis­é aux interactio­ns entre la politique fiscale et l’incitation au travail. En 1983, il soulignait qu’« […] il n’est guère intéressan­t pour les chômeurs ou les assistés sociaux de se remettre au travail, même quand le travail est disponible; on souligne aussi souvent que d’obtenir une promotion n’est pas particuliè­rement incitatif sur le plan financier, même si le revenu initial est assez faible. De telles réactions sont très sérieuses et doivent être examinées. Après tout, une société doit être en mesure de reconnaîtr­e et de promouvoir l’intérêt financier au travail ».

En effet, dans certains cas, la combinaiso­n de la hausse des impôts et des cotisation­s à payer ainsi que la baisse des crédits d’impôt et des prestation­s sociales pour chaque dollar de revenu additionne­l est énorme. J’aurais aimé

Les écarts sont tellement élevés qu’il n’est nul besoin de faire la preuve que, dans aucune autre province, le fardeau fiscal combiné provincial et municipal n’est aussi lourd qu’au Québec Jacques Parizeau, en 1977

discuter avec lui du «bouclier fiscal» proposé au terme des travaux de la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise.

Un regard sur les budgets Parizeau témoigne de son sens hors du commun de la vulgarisat­ion, de son esprit vif et de sa capacité à cerner les enjeux importants.

Une version plus longue de ce texte est publiée sur le site de l’Associatio­n des économiste­s québécois http://blogue.economiste­squebecois.com

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Jacques Parizeau, alors ministre des Finances, lors de la présentati­on de son premier budget en 1977«

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