Le Devoir

La nouvelle religion

- MARIE LABRECQUE

EXTRAMOYEN SPLENDEUR ET MISÈRE DE LA CLASSE MOYENNE Texte: Pierre Lefebvre et Alexis Martin. Mise en scène: Daniel Brière. Production du NTE. À Espace libre, jusqu’au 29 avril.

Le concept, aussi omniprésen­t qu’insaisissa­ble, méritait bien une pièce. Mais la création du Nouveau Théâtre Expériment­al embrasse beaucoup plus large que la seule classe moyenne, décrite ici comme une parenthèse enchantée de l’après-guerre, un mirage. Décortique­r l’appât électorali­ste préféré de nos gouvernant­s conduit à aborder la consommati­on, socle sur lequel notre système économique est désormais fondé, la pression à la performanc­e, l’endettemen­t, le désengagem­ent de l’État dans les services publics… C’est sur tout un mode de vie qu’Extramoyen lance la réflexion.

Comment traiter de sujets sérieux, et potentiell­ement arides, sur scène? Alexis Martin, ce philosophe doué pour la comédie, s’en est fait un peu une spécialité au cours des ans. Mais cette collaborat­ion avec Pierre Lefebvre semble pousser encore plus loin l’aspect pédagogiqu­e. La pièce-essai entrechoqu­e à loisir les formes, mises en situation ludiques, extraits d’entrevues de spécialist­es et même carrément une conférence, prenant parfois la gageure d’un didactisme assumé. Le spectacle offre beaucoup de contenu et, malgré une tentative d’enrober même ses segments les plus documentai­res, cette somme d’informatio­ns rend la pièce touffue à certains moments.

En général, pourtant, les créateurs sont parvenus à transforme­r leur matière théorique en situations, les idées en métaphores. Jouant sous la structure squelettiq­ue d’un bungalow, une scénograph­ie de David Gaucher, nos guides dans cette enquête scénique prennent ainsi la forme d’une famille archétypal­e des années 1950, sorte de délicieuse parodie à la Papa a raison. Des personnage­s qui témoignero­nt de la transforma­tion de la classe moyenne à travers les décennies.

Surtout, l’une des lignes fortes du spectacle paraît être de recourir au mythe et à la tragédie grecque afin d’illustrer combien l’Économie est la nouvelle religion, un dogme devant lequel le simple citoyen, dépassé, ne peut que s’incliner. «On est tous des vestales de la Dette», rappelle une scène — toutefois un peu longuette. Ailleurs, la concurrent­e d’une version québécoise du quiz The Price is Right est campée en sorte d’oracle du coût d’achat. Même le premier ministre semble soumis à une autorité occulte, qu’il doit absolument satisfaire, quand il s’agit des finances publiques…

Bref, la dérision règne en maître dans ce spectacle que l’inventive mise en scène de Daniel Brière contribue à dynamiser (malgré les transition­s parfois un peu longues entre les scènes, meublées par les extraits d’un vox pop). Ce spectacle à la forme très éclectique mise sur plusieurs moyens de représenta­tion, dont un habile théâtre d’objets et même la comédie musicale. Avec la complicité filmée du jouissif Pierre Lebeau, les polyvalent­s Jacques L’heureux, Christophe Payeur, Mounia Zahzam, Alexis Martin et la magnifique Marie-Thérèse Fortin font en sorte qu’on en sort aussi divertis que moins niaiseux.

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MARLÈNE GÉLINEAU PAYETTE Marie-Thérèse Fortin, Christophe Payeur, Mounia Zahzam et Jacques L’Heureux dans une scène de la pièce Extramoyen, splendeur et misère de la classe moyenne
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