Remonter le courant
J’AIME HYDRO (VERSION INTÉGRALE) Texte et idéation : Christine Beaulieu. Mise en scène: Philippe Cyr. Un spectacle des Productions Porte Parole, de la compagnie Champ gauche et du Festival TransAmériques. À l’Usine C jusqu’au 13 avril. En baladodiffusion sur le site de Porte Parole et sur Première Plus.
Après un passage au OFFTA en 2015, une création des trois premiers épisodes au Festival TransAmériques en juin 2016 et une reprise à la Licorne en août de la même année, Christine Beaulieu s’installe ces jours-ci à l’Usine C pour offrir les cinq épisodes de sa série consacrée à la relation des Québécois à HydroQuébec. Quatre heures d’une enquête passionnante, tissée de faits et de fantasmes, de chiffres et d’émotions, un théâtre documentaire qui fera certainement date.
Le principal atout de J’aime Hydro, c’est d’emprunter franchement à ce que les AngloSaxons appellent le « storytelling ». Cette mise en récit du réel permet l’identification à un protagoniste, un mélange irrésistible d’intime et de collectif, mais surtout de rattacher constamment les faits, les discours et les théories aux affects d’un être humain. Dans le prolongement naturel du théâtre documentaire que pratique admirablement Annabel Soutar au sein de la compagnie Porte Parole depuis 20 ans, la création en épisodes de Christine Beaulieu, mise en scène par Philippe Cyr, mais aussi en son par Mathieu Doyon et en images par Mathilde Corbeil, constitue un sommet.
Sur une période de deux ans, afin de tout savoir (ou presque) sur l’hydroélectricité, le fonctionnement de la société d’État et les impacts (positifs et négatifs) du harnachement de la rivière Romaine, Christine Beaulieu a rencontré des centaines de personnes dans de nombreuses régions du Québec: politiciens, ouvriers, scientifiques, gens d’affaires, syndicalistes et membres de la communauté innue, toutes incarnées avec un talent inouï par Mathieu Gosselin.
Devant ce parcours, processus patient de création et d’enquête, parsemé de découvertes et d’embûches, de chocs et de déceptions, de rires et de larmes, on ne peut que lever notre chapeau. Courageuse, la comédienne ose accomplir, pour son propre compte, mais aussi, et peutêtre même surtout au bénéfice de toute sa société, une démarche qui tient ouvertement du journalisme d’investigation, un genre menacé et pourtant crucial, essentiel à une époque où se multiplient les amalgames et les jugements hâtifs.
Tout en reconnaissant ses limites, ses doutes, ses convictions et ses insécurités, et même ses biais cognitifs, la créatrice est manifestement soucieuse de représenter tous les points de vue. Le sujet est vaste, possède des ramifications sociales, économiques, scientifiques, environnementales, culturelles et même spirituelles. Le spectacle, aussi informatif qu’émouvant, et parfois drôle, rend justice à tous les aspects de la question, si bien qu’on recommande à tous les citoyens du Québec d’y accéder, si ce n’est par la scène, à tout le moins par baladodiffusion.